Voici un film très particulier de deux cinéastes iraniens Ali Azgari et Alireza Khatami vu aujourd'hui en salle.
D'après ce que j'ai lu dans un article de Télérama, Alireza Khatami, cinéaste en exil est revenu en Iran avec l'objectif de tourner un film. N'ayant pu obtenir l'autorisation, avec l'aide d'un ami Ali Azgari, il tourne une série de 9 court-métrages, 9 séquences, ne nécessitant pas d'autorisation, afin de déjouer la censure. Même les acteurs étaient persuadés de tourner des court-métrages afin de leur éviter des problèmes ultérieurs avec le ministère de la Culture et de l'Orientation Islamique.
Chacune de ces séquences tournées en plan fixe correspond à une scène où un homme ou une femme discute avec l'administration, un employeur, une directrice d'école, un producteur pour faire valoir un droit, pour obtenir une embauche, pour le droit de tourner un film, etc …
Aucune interaction entre ces séquences dont le titre correspond au prénom du personnage filmé, quasiment pas de mise en scène mais que de signification dans chacune de ces scènes, dans chacun de ces personnages.
Enfin, quand je dis "pas de mise en scène", j'exagère un peu car le film démarre avec une vue de Téhéran un peu brumeuse mais vivante entre le bruit de la rue, les klaxons et les sirènes des voitures de police. Avant d'attaquer chacune des 9 séquences sans musique. Et le film s'achève par une vue de Téhéran, silencieuse, à travers une vitre et un vieillard muet et assis qui va s'effacer petit à petit tandis que la ville s'effondre à l'occasion d'un tremblement de terre. Avec un générique de fin baigné par un dernier morceau de musique hard rock (probablement pas autorisé)
Dans cet univers kafkaïen, chacun des protagonistes tente de défendre sa position, en vain face à des interlocuteurs (invisibles) qui exercent leur pouvoir tatillon sur la base des règles et lois édictées par les mollahs.
Toutes ces séquences sont édifiantes sur les excès d'un régime théocratique qui couvre toutes les dérives et perversités pourvu qu'elles s'appuient sur la religion.
Ainsi l'homme venu quémander un permis de conduire doit se déshabiller progressivement pour montrer ses tatouages qui reproduisent les vers d'un poète persan, laissant imaginer que le fonctionnaire en profite pour se rincer l'œil.
Ou encore l'employeur qui profite de l'entretien d'embauche pour tenter d'agresser la jeune femme avec des questions intimes en lui laissant clairement entendre qu'il ne tient qu'à elle d'avoir un travail agréable et bien payé.
Ou encore la femme venue au commissariat réclamer son chien que la police lui a confisqué au motif que promener un chien est interdit. Elle se verra proposer le chien d'un autre …
Et je ne parlerai pas des arguties développées par le fonctionnaire qui refuse le prénom de David à un homme venu déclarer la naissance de son fils. Ni non plus du quémandeur obligé de mimer la façon de faire des ablutions pour espérer obtenir un job dans le bâtiment.
En bref, un film qui décrit, en neuf occasions, la perversité des gens qui disposent d'un pouvoir (inamovible) pour humilier l'homme ou la femme ordinaire. De facto, inférieurs. En toute impunité. Oh, il n'y a pas de violence physique visible. Mais, par contre, une terrible violence morale, sous-jacente.
En prenant pour métaphore, le tremblement de terre ravageant la ville, les cinéastes imaginent que le blocage du fonctionnement de la société iranienne ne peut que s'effondrer. Mais pour trouver quoi à la place ? Une autre révolution ? Et quand ?
En tous cas, on ne peut que saluer le travail de ces cinéastes et acteurs iraniens qui risquent certainement gros pour tenter de faire bouger les lignes !