Chronopolis est un long métrage d’animation et de science-fiction expérimental réalisé par Piotr Kamler, un animateur polonais d’une inventivité folle qui a étudié les Beaux-arts en France. Connu comme étant son seul et unique long métrage, le monsieur travaillant plutôt sur de courtes fictions et des expériences mêlant son et image, il est présenté hors-compétition à Cannes en 1982. En réalité, il existe deux version du film : l’originale de 1982, donc, et une deuxième remontée par Kamler lui-même en 1988, amputée de 14 minutes avec des scènes en plus et en moins, une narration plus épurée ainsi qu’une fin alternative, qu’il jugera alors définitive. Cette critique traite de la seconde version.
Chronopolis nous raconte l’histoire d’une cité, une très vaste cité perdue dans l’espace. Bien qu’elle soit fictive, inventée pour les besoin du scénario, il n’existe pas plus de preuves de son existence que de sa non-existence. Elle est composée de grands bâtiments gris et noirs, de structures vertigineuses, de machines inquiétantes et est dévoilée comme avec méfiance au spectateur, par petites touches, petites bribes, à travers un brouillard épais. Ses habitants sont d’impassibles humanoïdes immortels qui vouent l’entièreté de leur existence à fabriquer du temps. Le temps, propriété fondamentale de l’univers ou simplement produit de la perception humaine ? Nul ne le sait. Mais il demeure aujourd’hui un thème incontournable de la science-fiction classique, abordé ici d’une bien curieuse manière.
Durant la première moitié du film, on assiste au processus de fabrication du temps qui s’apparente à une certaine forme d’art, la sculpture, et dont les méthodes ne sont pas sans rappeler celles du travail à la chaîne : des étapes répétitives qui se succèdent, la présence d’un contrôle qualité... Mais attention ! Rien ne nous dit clairement que les habitants de Chronopolis que nous voyons-là sont des travailleurs de l’usine. Ils se contentent de modeler le temps qui est ici un genre de matière synthétique. Développant leur propre temporalité, ils accèdent à la vie éternelle. Le mot « vieillissement » ne fait pas partie de leur vocabulaire.
Dans la seconde moitié du film, la caméra s'intéresse aux humains viennus explorer la cité depuis l'autre bout de l'univers. Courageux ou alors inconscient, il ne savent pas ce qu’elle abrite. Des robots ? Des monstres ? Perdu. Des êtres immortels qui essayent d'entre en contact avec eux.
Le personnage principal fait finalement irruption assez tard dans le récit. Un humain parmi d’autres humains, astronaute parmi d’autres astronautes, probablement intégré de force à un expédition suicidaire ou alors des étoiles plein les yeux, se sentant investi d’une mission : celle d'arpenter l’univers, de le découvrir, le considérer en tant qu’abri cosmopolite.
Le Trou, Cœur de secours ou encore Délicieuse Catastrophe, les courts métrages de Kamler sont plus insolites et innovants les uns que les autres mais on dira plutôt d’eux qu’ils sont fabriqués et non réalisés par Kamler. Il y a là une nuance. L’animateur polonais n’officie pas dans le domaine de l’audiovisuel, il officie dans le domaine de l’artisanat. Fondamentalement, son travail n’est pas si différent de celui d’un menuisier qui élabore lentement ses pièces, par approches successives, pour obtenir un résultat parfait. Il est ainsi présent à toutes les étapes de conception d’une œuvre : scénarisation, dessin, prise de vue, montage ; seule la sonorisation est laissée aux soins de collaborateurs tels que Bernard Parmegiani ou François Bayle.
Pourtant, Kamler est un vrai cinéaste. Et un auteur, qui plus est. Il s’enferme presque toujours dans l’imaginaire, l’onirique. Ses univers sont baroques, faits de matières, de couleurs et d’ombres intenses, marquées, profondes, grouillants de créatures étranges et fourmillants de situations bizarres. Chronopolis étant son œuvre majeure, elle en est la parfaite illustration.
Après, cela n’excuse en rien son principal défaut. L'oeuvre est trop hermétique, ne brosse pas du tout le spectateur dans le sens du poil. Jamais. Pour autant, elle contient de très bonnes choses. La thématique du temps y est abordée d’un angle original, avant-gardiste pour les eighties, à grands renforts de motifs et symboles répétés, de boucles mais aussi de représentations concrètes. Sans compter tout le délire sur l’immortalité, la rencontre avec les Hommes qui eux sont mortels, etc. Clairement, Chronopolis apparaît en cours accéléré de métaphysique.
Regardez la vidéo dont cette critique est tirée !