Chungking Express est attachant à en pleurer, tout simplement parce qu’il évoque la relation amoureuse de la manière la plus sincère possible. Décomposé en deux histoires reliées dans la durée mais aux personnages principaux différents, le film de Wong Kar-wai évoque la douleur liée à la rupture amoureuse et l’amour espéré.


Alors que la première histoire évoque la renaissance du sentiment amoureux par le toucher et l’interaction physique, il est question dans le deuxième récit, à la manière de certains passages du très grand In the Mood for Love, de ressentir le sentiment amoureux malgré la distance physique et l’espace dans le temps.


Alors, Chungking Express s’impose comme l’une des plus belles histoires d’amour, parce qu’il n’y a pas de réelle déconnection entre les deux récits. Mais au contraire, d’un homme à un autre, ce qu’a pu ressentir le personnage interprété par Takeshi Kineshiro l’est aussi par celui interprété par Tony Leung dans le deuxième récit. Seulement, le personnage principal de la seconde intrigue est Faye.


Le lien est ici, un personnage doit faire face à son souvenir et à sa déception amoureuse, puis il tente de se ressaisir après une rencontre brève, mais chargée en sentiments. Ainsi se clôt la première histoire.
Il ne cesse désormais plus de rêver, se disant prêt à aimer la première femme qu’il croisera, telle Faye devant le policier au matricule 633, mais ne se soumet plus à l’immédiateté des circonstances. L’arrivée d’une nouvelle fille que lui évoquera le gérant du snack-bar, ne le touche plus. Il sait que l’amour frappera à sa porte un jour, il n’a pas à le rechercher de manière immédiate.
Faye incarne ce que pourrait ressentir le policier au matricule de la première intrigue, s’il tombait à nouveau amoureux d’une femme. Puisqu’il sait désormais que seul le temps et la distance lui diront si la personne l’aime vraiment, il n’hésiterait ainsi plus à jouer avec ces facteurs.


La grande rêveuse incarnée par Faye croit en tout cela, elle brise les manières habituelles de séduire, elle se dévoue passionnément à celui auquel elle éprouve des sentiments, comme le personnage incarné par Takeshi Kineshiro le fera quand il prendra soin de la Femme aux lunettes et à l’imperméable.


Elle est l’affirmation de la Passion que nul ne saura détruire, pas même la jeune hôtesse de l’air paraissant prise d’affection du policier, mais le délaissant à la moindre occasion pour un autre « ami ». Superficielle et matérialiste, cette femme ne saurait être qu’un énième vol pour une destination courte, chargée de souvenirs douloureux.


Quelque part, cette jeune hôtesse pourrait être la May dont le premier policier n’arrive pas à se détacher, ne l’ayant jamais rappelé ou lui ayant laissé sans doute un jour un message sur son répondeur, qu’il vaudrait mieux effacer.


Chungking Express, c’est l’affirmation par Wong Kar Wai de la représentation du sentiment amoureux comme indestructible lorsqu’il est vécu passionnément par deux amoureux, qui demeure cependant soumis aux barrières du temps et de l’espace, ne pouvant pas non plus être prévisible.
Comment deviner que cette Faye puisse tomber amoureuse de ce policier ? Cela n’est pas possible.
Pourtant, c’est l’expérience collective ici du passé amoureux qui pourrait lier la conscience du policier de la première intrigue à la jeune Faye de la seconde. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce policier s’intéresse à la Dame aux lunettes, c’est parce qu’il sent qu’il peut se confier à elle, qu’il peut lui parler et entretenir si ce n’est un lien amoureux, un lien amical.
L’Amour nous lie ainsi tous, et d’un simple Joyeux anniversaire peut découler une véritable reconstruction émotionnelle.


Même les environnements semblent changer lorsque les passionnés ne sont plus là ou sont au contraire présents dans la pièce, à titre d’exemple, la fuite d’eau de l’appartement du policier dans le deuxième récit est rompue dès lors que Faye entre à nouveau dans celui-ci. A l’inverse, le restaurant du cousin de Faye est illuminé comme jamais, en la présence de Faye.


Faye a su user de ses techniques pour faire comprendre son amour à celui qu’elle aime, et la remise par le policier d’un CD aux airs du sublime « California Dreamin’ » apparait comme le rejet d’une boite d’ananas périmée (cf première intrigue), en l'occurence ici une chanson exprimant la tristesse, pour la consécration d’un désir de voyage, vers la Californie ou l’amour. Le policier le lui dira, cela ne te correspond pas. A la manière d’un Joyeux anniversaire exprimé ou d’un air de musique que l’on réécoute, les désirs ne cessent pas quand il s’agit de la passion amoureuse.


Il est enfin à souligner pour une nouvelle fois, **le traitement remarquable du lien familia**l, par le réalisateur hong-kongais. Les parents (voir le père allant rechercher sa fille) comme la famille extérieure au domaine familiale (et même autre que le cousin) comme l’entreprise professionnelle influencent la manière de pensée comme le ressenti intérieur. Alors même que la Femme à l’imperméable incarnée par Brigitte Lin semble avoir perdu espoir en l’humanité et n’ose plus, ou ne s’intéresse du moins plus à se confier, cela pourrait être lié à ses contacts professionnels.
Eliminer la brute assouvie du rapport sexuel (forcé ?), c’est en réalité, éliminer la cruauté et le manque d’amour inhérent à certaines structures de la société. A l’inverse, usant de son humour, le restaurateur, cousin de Faye fait preuve de taquinerie, et sous les reproches se cache un second degré qui ne veut que le bien de sa cousine, ainsi que celui des deux policiers qu’il rencontre.


Disposant d’une mise en scène absolument sublime à chaque instant, Wong Kar Wai filme le Hong Kong urbain, en caméra portée, insufflant de dynamisme le premier récit comme laissant part à d’autres plans plus contemplatifs. Le magnifique ralenti derrière le plan d’ensemble où Faye regarde à distance le policier, illustre toute la maestria d’un metteur en scène, sachant utiliser un procédé technique autant pour dynamiser une scène d’action (les poursuites) que laisser le temps figé, à la manière d’une peinture, soulignant le regard passionnel d’une femme déjà emprise d’un homme.


Chungking Express est une déclaration d’amour par Wong Kar-wai à la passion amoureuse justement. Parce que peuvent naître des situations les plus improbables, les relations les moins attendues, et pourtant les plus authentiques. De la marginale timide à la femme désagréable, du policier fébrile à celui paraissant solide, se cachent des faiblesses et des désirs intérieurs qui ne pourraient qu’être mieux exprimés, par la confidence à un être aimé.


Chungking Express, c’est le film du passionné et du sensible.

Créée

le 18 avr. 2021

Critique lue 138 fois

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William Carlier

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