Chungking Express est mon troisième long métrage de Wong-Kar-Wai, après un gros coup de cœur pour In the Mood for Love et une déception inattendue pour Fallen Angels, je m'assois dans mon siège, ticket à la main, curieux de la destination qui m’attend.


La première partie du film, introduction presque documentaire sur la vie nocturne d’Hong Kong, nous entraîne au cœur de ses rues lumineuses, bondées et étroites. Nos deux premiers personnages nous sont introduits par l'intermédiaire de ce flou cinétique et de cette caméra au poing qui nous immerge instantanément dans cette cohue multiculturelle.


Dans ce dédale de ruelles sombres et d’enseignes imprécises, on rentre dans l'intimité des passants et des commerçants. La caméra nous montre sans filtre leurs repas, leurs enfants, leurs ébats, leurs trafics, ainsi que leurs difficultés. Cette curieuse mosaïque est enveloppée d’une composition originale qui colle très bien à cette ville filmée de nuit qui peut nous paraître crue, insalubre et propice à la solitude.


Cette histoire insiste sur une facette assez obscure de la métropole.

Pris à témoins des combines, courses poursuites et représailles, on y suit une passeuse de mules très mystérieuse et consciencieuse ainsi qu’un agent de police tendrement niais, dans le déni d’une rupture amoureuse.


La dealeuse est toujours filmée comme si elle fuyait quelque chose ou quelqu’un, les plans nous érigent en voyeurs, entre deux épaules, à travers la vitrine d’un commerce, derrière un étalage ou un comptoir. Nous, spectateurs, faisons partie de cette foule anonyme et sommes entraînés au cœur de ses aléas.


Ce premier chapitre très esthétique s’apparente à une rêverie, où fantasmes, empathie et espérances du spectateur forment l’essence des personnages.

Wong-Kar-Wai appuie sur la singularité des individus et sur ce que le côté anonyme a de fascinant. Nos vies se frôlent, s'effleurent et seuls les coïncidences, circonstances et solitudes partagées nous permettent de les nouer.


Une photographie extrêmement léchée : flou cinétique, une gestion des foules impeccable, des couleurs splendides (les plans sur la jukebox sont sublimes), avec rappelons le 0 $ de budget sur la mise en scène. Le talent de Wong-Kar-Wai est palpable, il déniche des lieux, des plans, des lumières avec la passion d’un cinéaste à ses débuts et nous concède une brillante créativité.


Une deuxième partie se profile après une ultime bousculade, très différente de la première, avec une narration plus aboutie, elle introduit nos deux nouveaux participants dans ce grand relai des individualités.


Cette fois la caméra se concentre vraiment sur les personnages, la ville est toujours présente mais on insiste davantage sur des lieux du quotidien.


Tony Leung y incarne un policier taciturne et réservé, il vit assez difficilement une rupture amoureuse. Lors de ses services, munie de son impeccable uniforme, il nous semble en maîtrise et assez sûr de lui. Cependant, en coulisse, notre homme est tout autre.


À l’image de Takeshi Kaneshiro avec ses coups de fils désespérés et ses trente boîtes d’ananas périmés, notre second policier se lamente et partage sa peine aux objets de son appartement, une personnification très drôle et très bien trouvée qui introduit encore une fois la solitude au récit de façon très cohérente.


S’ajoute à cela une maison “en sanglots” encombrée de souvenirs et de vêtements de femmes où l’on se remémore une relation fusionnelle qui nous apparaît parfaite, une douce nostalgie d’un avion en escale qui était destiné à repartir nous assaille.


Le second personnage féminin, Faye, employée de ce fast-food du centre d’Hong-Kong est sans aucun doute la plus grande force de ce film : solaire, touchante, redoutable et complètement folle.

C’est à travers cette obsession pour California dreamin’, ces fabuleuses excursions chez matricule 663, ces pistes de danse improvisée ainsi que cette touchante désinvolture que prend place la véritable grâce de ce film.

Plus qu’un personnage, Faye est la muse d'une poétique sensibilité : la naïveté d’écouter ses moindres désirs, de rêver éveillé tel une somnambule et d’être en harmonie avec ses sentiments malgré l'hypothèse d’un amour impossible.


Elle est à juste titre considérée comme l'égérie de ce film, car à chaque apparition, à chaque réminiscence de cette reprise de Dreams (que l’actrice interprète d’ailleurs elle-même), le charme de ce film pourtant si simple opère et nous emmène dans ce que j'appelle du grand cinéma.


Cette deuxième histoire est une ode à la légèreté de la vie, de la magie des coïncidences, de ses imprévus et de ses rebondissements.

Elle est nourrie des espoirs, des espérances d’individus envers d’autres, et à l’image des folles irruptions musicales de Faye, nous montre que c’est cette facette irrationnelle et désordonnée mais si belle qui tire le meilleur de nous.


Chungking Express est un film envoûtant, qui brille par son ingénuité et par son portrait à la fois tendre et juste des relations amoureuses.



Marcellooo
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le 12 nov. 2024

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