L’éclipse s’inscrit dans mon voyage au cœur de la filmographie d’Antonioni et marque mon entrée dans le volet italien.

Alain Delon en courtier (Piero) est superficiel, provocateur, aguicheur, colérique, misogyne, manipulateur, c’est un homme qui semble exalté par ce monde féroce qu’est celui des finances. Le rôle lui va à merveille, séducteur à qui tout sourit, il se heurte aux nuances de la vie, ici à l’étrange chose qu’est l’amour.

Il tombe sur Vittoria, une femme qui s’immerge dans les détails de son quotidien pour combler le vide d’une récente rupture amoureuse, une femme sensible et évanescente qui semble résister à ses charmes.

Bien qu’il soit ici en second rôle, Delon joue avec une grande finesse et comme il a pu le faire dans Rocco et ses frères ou dans la Piscine, il propose un personnage plus subtile qu’il n’y paraît.

Piero est plus sentimental qu’il ne veut l’admettre, cette femme est pour lui une occasion de s’essayer à la sensibilité d’une romance qui l’éloigne temporairement des folies de la bourse. À l’instar d’un acteur qui par l’image qu’il a choisi de renvoyer est souvent vu comme vaniteux ou glacial, l’amour passionnel de Piero est d’autant plus convaincant.


Vittoria (Monica Vitti) est un personnage secoué par une rupture, très à fleur de peau et très sensible à ce qui l’entoure, son sens de l'observation ne laisse rien lui échapper.

À la fois lunatique et hypersensible, elle s’éprend de son parfait opposé dans un élan de passion et d’amour qu’il ne faut pas chercher à expliquer ou à verbaliser.

« Il ne faut pas apprendre à se connaître si l’on veut tomber amoureux ».

L’interprétation de l’actrice est bluffante par la grâce de son jeu, sa beauté incontestable, ainsi que par la finesse de l’expression de ses émotions dans un film très silencieux, où les paroles ne valent pas les regards et les expressions du visage.

C’est à travers ses yeux que la magie opère, comme une âme en peine dans cette Italie sur laquelle plane la grande ombre de la guerre froide, une "éclipse" qui plonge cette ville de Rome dans une atmosphère presque apocalyptique.

On s'immisce dans son regard, dans sa sensibilité aux détails, aux visages ainsi qu'aux situations.

Comme un ectoplasme qui vagabonde, Vittoria vide d’émotions et d’amour, presque par fatalité, laisse le cours de sa vie faire son œuvre, que ce soit l'installation d’un bibelot, une soirée entre voisines, un tour en avion tout est le résultat de ce gracieux détachement.


J’affectionne particulièrement les scènes de l’aérodrome dans L’éclipse, qui me rappellent l’hôtel Adriano et Gina dans Porco Rosso, deux éléments iconiques de ces films, mais qui dégagent cette même légèreté à l’italienne, si plaisante au visionnage.


L’éclipse c'est à la fois ce contraste entre ce que dégagent ces deux acteurs, ils sont le jour et la nuit, mais également la pureté d’un énigmatique amour passionnel, qui menace de s'assécher d’un instant à l’autre comme pourrait le faire un simple ruisseau.


Que ce soit dans un métier de courtier, dépourvu de sens (manipuler de l’argent qui, concrètement, n’a aucune existence tangible), ou dans un personnage féminin qui ressemble à un puits sans fond, le thème du film se rattache à l’idée du "rien".


C’est un film qui braque la caméra sur le vide, l’absence, l’attente propre à notre existence, avec un sens du détail inégalable, des plans magnifiques et un rythme hypnotique au possible. Nous spectateurs, sommes contraints de participer à cette errance introspective dans un noir et blanc sublime.

Très ambitieux et unique, c'est une expérience à part entière.


Marcellooo
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le 28 déc. 2024

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