[Publiée le 28 Janvier 2023 sur Un Certain Cinéma]
Lorsque la contrainte apparaît, il n’y a rien au monde de plus émerveillant qu’un esprit créatif qui l’utilise pour innover, concevoir des idées de mise en scène nouvelles. Ciao! Manhattan est dans un premier temps un film au tournage chaotique dont le bref début du tournage n’a rien à voir avec les dernières prises, plusieurs années après, avec actrice principale dépendante et atteinte d’une forte détresse émotionnelle, ayant entre temps fait un séjour à l’hôpital et acteur dont les séjours sont plus proche de l’univers carcéral.
A partir de la simple idée de mettre en scène une idée de l’underground new-yorkais, les cinéastes John Palmer et David Weisman ont vite compris que la superstar déchue de Warhol, Edie Sedgwick, était à elle seule symbole d’une époque de l’extase et de la création folle avant un retour fatal à l’immonde monde dit « la vraie vie ».
Alternant entre les images d’archives et les prises de vue du nouveau tournage, en Californie, les réalisateurs créent à travers l’histoire de Susan une fresque mélancolique et tragique du superstar de cette période underground. New-York devient un lieu de mémoire, filmé par l’archive : la ville est une entité du rêve permanent et de la liberté créative des générations inexpérimentées. Ce New-York venant contrasté avec une Californie désertique dans laquelle, au fond d’une piscine vide, Edie Sedgwick, mi-nue, mi-sous emprise, totalement déchue, s’accroche à ce qui lui reste et remémore, puis narre son parcours.
Que peut-il rester d’une décennie si folle, si innovante, composée d’artistes si éloignés des conventions et de la norme ? Film témoin d’une époque qui semble avoir déjà rendu son dernier souffle, Ciao! Manhattan démontre une fracture brutale entre deux mondes, certes, mais s’affiche aussi très critique, sans jugement négatif ou malveillant pour autant sur ces années 60 new-yorkaises. En effet, à travers le destin tragique de Susan/Edie, l’œuvre démontre la vacuité de la notion de superstar, de célébrités ; comme si après avoir couru après son quart d’heure de célébrité et l’avoir obtenu, le film invitait son spectateur à réfléchir sur le temps qui reste… que faire ? Il n’y a plus rien, apparemment, sinon de vagues souvenirs noyés entre des chutes de boissons alcoolisées et des doses de produits addictifs si dévastateurs. Il n’y a plus rien, mais après tout, cela en valait-il la peine ? Les plus belles années d’une vie, aussi intense qu’il n’est possible, puis en souvenirs à l’infini, durant la chute à l’apparence interminable, aux effets destructeurs, à la fin fatale inévitable.
Douce possession psychédélique et mélancolique d’une star déchue dont la consommation de stupéfiants eut raison d’elle quelques jours après la fin du tournage, Ciao! Manhattan est une réussite tant sur le plan de l’innovation esthétique que sur le document d’une époque, le tout magnifié par une sublime langueur.