Salvatore (Jacques Perrin), cinéaste italien, se souvient de sa jeunesse dans son village natal de Sicile et du projectionniste du Cinéma Paradiso, Alfredo (Philippe Noiret), qui est à l'origine de sa passion pour le 7ème art...
« Cinéma Paradiso » est un grand film sur l'amour du cinéma, sur ce qu'il peut avoir de frappant et de fascinant lorsque l'on est un enfant. La passion d'Alfredo, alors surnommé « Toto », naît quand il est encore petit garçon, dans la cabine de projection, au contact d'un homme qui fait ce métier depuis l'âge de dix ans et qui cite abondamment les répliques de ses films favoris, comme si le cinéma faisait véritablement partie de lui. Toto découvre les films de manière tactile et concrète (il vole des morceaux de pellicule qu'il collectionne avec acharnement), et laisse son regard dévier vers la cabine de projection, vers la source des images qui lui font face. La population de Giancaldo remplit chaque soir le Paradiso ; le cinéma est un rituel qui offre une ouverture sur des mondes inconnus, interdits et qui suscite des moments d'excitation incomparables (après une période de censure impitoyable par le représentant de l'Eglise, Don Adelfio, qui ampute les films de scènes jugées trop indécentes, les séances de cinéma deviennent des moments d'exploration sexuelle, comme le découvre la jeunesse villageoise devant l'apparition de Brigitte Bardot dans « Et Dieu créa la femme »).
Les séances montrent un spectacle qui se joue autant sur la toile que dans la salle ; le public réagit à tout ce qui se passe à l'écran, et les spectateurs ne sont pas dans une position passive mais s'animent au contact de ce qu'ils voient et de ce qu'ils ressentent ; ils VIVENT leurs moments passés au Paradiso comme une expérience collective.
Il y a une séquence magnifique, où l'on voit Alfredo déplacer le flux du projecteur sur le mur de la place du village pour répondre aux attentes du public ; l'image en mouvement sort de la salle, se déplace et suit une trajectoire lente et irréelle ; la magie du cinéma est ici à son paroxysme. Le film évoque par ailleurs les évolutions importantes de la vie cinématographique: des mutations techniques tout d'abord, avec l'essor du cinéma en plein air, l'arrivée du téléprojecteur, et des bouleversements artistiques ensuite (devant une œuvre d'Antonioni, le directeur du Paradiso a ce jugement définitif : « c'est un beau film mais on n'y comprend rien »). Jusqu'à la toute-puissance de la télévision et de la vidéo, qui « tuent » le cinéma, qui ne représente « plus qu'un rêve », comme le déplore le directeur de la salle sur le point d'être détruite.
Giuseppe Tornatore accorde une grande importance aux détails (la jambe de Toto qui trépigne d'impatience, la gueule du lion qui s'anime et projette le film, Alfredo qui réchauffe son repas dans le projecteur) et ce sont ces détails qui renforcent la dimension personnelle de l'œuvre, et ceci malgré un éventail de personnages qui pourraient se rapprocher dangereusement de stéréotypes. Toto fait un retour presque idéalisé dans le passé, mais il recouvre ses souvenirs d'une telle affection qu'il est difficile de brider son enthousiasme et de ne pas être emporté par ce voyage émotionnel qui nous fait prendre conscience de la fuite du temps, à travers les extraits de films qui marquent l'histoire du Paradiso : « La Terre Tremble » de Visconti, « Furie » de Fritz Lang, « Riz Amer » de Giuseppe De Santis, « Ulysse » de Mario Camerini etc...
Le film, dans sa version longue, se compose de trois parties distinctes, qui correspondent aux trois âges de Toto (enfant, jeune homme et adulte). La première est de loin la plus forte et la plus mémorable, grâce au duo Toto/Alfredo. La relation entre ces deux personnages est drôle et touchante à la fois ; le jeune Salvatore Cascio est sensationnel (il donne à son Toto un regard malicieux et désarmant absolument irrésistible), et Philippe Noiret apporte une vraie tendresse à son personnage. Le scénario est sentimental mais dans un sens positif ; leurs scènes sont baignées d'une nostalgie et d'un bonheur inouïs, magnifiquement accompagnés par la musique d'Ennio Morricone.
La deuxième partie du film souffre d'un traitement plus conventionnel (l'histoire d'amour adolescente de Toto) et la troisième partie, dans laquelle Toto retrouve son amour de jeunesse, semble sortie d'un autre film. Mais Marco Lombardi (Toto à dix-sept ans) a un visage lumineux qui retient sans cesse notre regard, et Jacques Perrin a des scènes très touchantes.
La projection finale, dans le vieux Paradiso délabré, est l'un moments les plus splendides du cinéma : le dernier cadeau d'Alfredo au garçon qui lui a sauvé la vie est cette valse de baisers sur pellicule, reliquat des coupes sévères de Don Adelfio au fil des années, qui nous inondent d'un torrent d'amour.
Note: La version courte du film, plus ramassée et plus concentrée sur l'enfance de Toto, est bien supérieure à la version « longue »...