Five Easy Point décrit une trajectoire, le parcours d'un homme d'un point B vers un point A. Cet homme c'est Robert, Jack Nicholson. Fils d'une famille bourgeoise et promis a un bel avenir en tant que pianiste, il a autre fois tout quitté pour se marier avec une serveuse et bosser comme ouvrier dans une raffinerie. Le film décrit le chemin inverse et son retour vers la maison familiale pour voir son père malade.
Si la route est peu présente physiquement dans le film, sa présence est centrale. C'est elle qui fait la jonction des deux points au milieu même du film. Trajectoire canalisée entre deux univers clos dans lesquels Robert étouffe. D'un côté c'est le pays, la terre, les corps, la country, l'Amérique profonde, de l'autre c'est l'île, l'eau, l'esprit, la musique classique, la villa. Dans les deux cas l'enfermement, la stagnation. Soit on creuse des trous pour s'y faire engloutir, soit regarde l'eau qui encercle un lieu déconnecté du reste du monde. Soit on joue au bowling et on boit, soit on jour au ping pong et on mange.
Robert, l'électron libre, n'y arrive plus, ne respire plus, il essaye de créer sans cesse un mouvement, bouge, crie, mais c'est un mouvement vain, il brasse de l'air, rien ne change, rien n'avance, l'horizon est bouché. Comme durant cette scène d'embouteillage. Il ne ressent plus, n'aime plus, ni sa femme, ni sa famille, ni son amante.
Et pourtant entre ces deux points il y a quelque chose, il y a la route. Tailler son chemin, traverser les paysages, faire des rencontres, prendre l'air en pleine face. Celle-ci semble canalisée pour Robert, on voit le segment, l'idée de droites à l'infinie ou bien encore d'un réseau indéfini semble avoir disparue. Pourtant, l'espace de deux rencontres, le segment semble pouvoir se rompre, un embranchement parait accessible. La première rencontre il s'agit de deux femmes qu'il prend en stop, deux hippies rêveuses. Ecœurées du monde, trop sale, trop matérialiste, elle se crée un objectif, aller en Alaska. Là bas c'est propre, tout est blanc. C'est une fuite, mais une fuite utopique, elles construire leur parcours sur une photographie, une image idyllique. Comme rétorquera ironiquement Robert, « ça c'était avant, maintenant la neige a fondue ». Mais c'est une fuite, l'espoir que la route peut mener ailleurs, vers autre chose. Une manière de briser la sienne. Lorsque Robert s'arrête à une intersection pour les laisser descendre et continuer vers cette autre route, c'est d'abord l'idée de rupture qui se matérialise, de désir d'aller vers l'inconnu, de tout lâcher, de partir. Une route qui bifurque vers la droite et sort du cadre. Mais vers se dirige cette route, vers quoi ? La fuite est-elle réellement possible et l'objectif est-il à la hauteur ?
C'est cette même route que va emprunter Robert à la fin du film, il sort de la sienne pour en emprunter une autre. Arrêté dans une station service, il monte dans un camion transportant du bois, et part, sort du plan, sort du cadre. Laissant tout derrière lui, sa femme, sa famille, sa vie, avec juste l'ambition de changer d'air, de repartir. Il s'enfuit, mais vers où, et vers quoi ? Mais au fond l'arrivée, le point de chute, n'est-ce pas moins important que le voyage entrepris pour y parvenir ?