Five easy pieces, comme le nom du livre qui initia au piano Bob Rafelson enfant, et dans lequel on retrouve effectivement cinq pièces de musique classique, que l’on entend dans le film, parmi lesquelles le Prélude in E Minor Op. 28 No. 4 de Chopin qui inspira à Gainsbourg la splendide chanson Jane B. (1969, un an avant la sortie du film) interprétée par Birkin - Gainsbourg qui rendra hommage au film dans son dernier album « You’re under arrest » avec le titre Five easy pisseuses, provocateur, pornographique et destroy.
Dans le long-métrage de Bob Rafelson on retrouve un peu de cette dimension nihiliste fin de carrière de Gainsbarre. C’est le personnage de Bobby (alter ego du cinéaste, homme irascible et misanthrope sur les bords) qui cristallise les attentions et transmet l’énergie contestataire d’une époque, prétendant faire tabula rasa du passé, s’extraire des carcans sociétaux traditionnels et inaugurer un temps nouveau. Il refuse tout ce dont il a hérité (un talent musical, des valeurs bourgeoises, le lieu où il est né et a grandi, …) et hait ce qu’il a aujourd’hui (une copine conne et collante quoique sexy et entreprenante, un boulot de merde malgré la chouette ambiance après le boulot, des amis sympas mais losers, …) si bien qu’il est contraint de s’échapper constamment et d’emprunter de nouvelles routes (voir la merveilleuse scène dans les embouteillages) pour semer ce qui le constitue, et donc au fond pour se fuir soi-même – comme le montre cette scène finale où après s’être longtemps regardé dans le miroir des toilettes d’une station-service, comme symbole d’introspection, il abandonne tout et repart vers une destination inconnue, prétextant que sa voiture et ses affaires ont brûlé.
Formellement Rafelson réalise un road movie - qui sera le premier à être nommé ainsi – embrassant l’état d’esprit du personnage, ne recherchant que le fugitif car épris de liberté et méprisant le durable qui emprisonne, se cherchant partout en dehors de lui, ne s’acceptant ni en tant que bourgeois qu’ouvrier, ne désirant que ce qui n’est pas lui (comme la femme de son frère par exemple). Réagissant violemment contre les autres par frustration, par désillusion, par dépit ontologique, mais au fond exprimant un reproche contre soi-même, Bobby est merveilleusement incarné par Jack Nicholson - dans la vraie vie ami de B. Rafelson, amoureux de Susan Anspach qui deviendra sa femme (Catherine dans le film, la fiancée de son frère) – qui aura ici son premier grand rôle comme acteur principal (nominé pour l’occasion à l’Oscar et au Golden Globe du meilleur acteur), acteur du bord – bord de soi-même, de la folie.
Un film majeur du Nouvel Hollywood, bien plus complexe que ce qui ne laisse paraître.