Alex Garland est pour moi le géniteur d'un chef d'oeuvre. Ex Machina, son tout premier film, est une pépite de SF avec un scénario dense, intelligent et offrant une véritable réflexion sur l'être humain et l'intelligence artificielle. Je suis resté agard devant l'utilisation fine de références comme Pollock pour venir asseoir un propos théologique. Une déification de l'IA "humaine" bricolée avec une intelligence et une minutie forte. Ex Machina fait partie de mes films préférés. Mais Garland m'a totalement laissé sur le bord de la route avec Annihilation. Long, douloureux, cliché et feignant malgré de beaux décors. Déçu, j'ai laissé Men au placard. Ses propositions horrifiques ne m'intéressent guère, hyper contemplatives comme du David Robert Mitchell (en moins bien), je n'ai jamais retrouvé la puissance verbale de son premier film. Je voyais Civil War comme un chemin vers la rédemption. Et le résultat global est mitigé, tant il y a de bonnes choses et de choses moins sympas.
Garland à une vraie maîtrise du son, il parvient à transformer l'arme, symbole de cette révolution aux USA, comme un monstre, véhiculeur de jumpscares. Paradoxalement, mis à part une scène finale brutale, Civil War occulte en grande partie les fusils pour une âme humaine en proie à la cruauté. En ce sens, si on ne peut qu'être déçus par ce road-trip qui fait office de galerie des horreurs, on aurait aimé plus de contextualisation politique. Or, Garland ne dépasse pas le cadre simpliste des rebelles = gentils ; gouvernement = méchants. Font office de surprises ne rentrant dans aucune case, les différents personnages rencontrés qui laissent libre cours à leur violence pendant cette anarchie étathique. Le mercenaire qui pose auprès des hommes torturés sur la photo, la scène complètement dingue avec Jesse Plemons qui est la meilleure du film... Civil War soulève tout un tas de questions intéressantes, là où la franchise American Nightmare n'est jamais parvenu à s'aventurer.
On revient encore sur la scène de Jesse Plemons : elle illustre à elle cella la justesse de la représentation d'une guerre civile telle qu'on pourrait le voir dans les prochaines années dans un pays. Une nation où la violence débridée n'est que le fruit de ses citoyens en manque de repère. Le milicien ne sait plus différencier, dans un flegme glacial, qui est Américain ou qui "ne l'est pas". Le final, même si vite expédié au moyen d'un long dialogue de résolution à mi-chemin de l'intrigue (et en hors-champ) était globalement efficace et aurait eu mérite à gagner en chaos. Civil War fut peut-être un peu limité par son modeste budget (50 millions de dollars).
Mais l'image pose problème. Ce choix artistique de couper l'intrigue par des photos, "meh". On est coupé de l'action, on saisit la volonté artistique mais elle colle pas. Les personnages introduits ne sont pas intéressants n'ont plus, le scénario ne leur offre aucune consistance. Mais surtout, je l'énonçais plus haut, il aurait fallu un peu plus de contexte politique dans tout ça pour contextualiser ces guérillas urbaines. On perçoit la violence, les cerveaux complètement lavés et lobotomisés par l'idée du "tout est permis" mais on saisit mal l'environnement dans lequel tout ce beau monde évolue. C'est dommage parce que Garland est un scénariste de talent. Où sont les punchlines, où sont les scènes iconiques ? Le mixage sonore nous cramponne à notre siège, nous faisant sursauter au moindre tir, mais on manque cruellement d'impact dramatique. Encore une fois, seul une scène conjugue avec force tout cela.
Malgré tout, Civil War reste un gros pamphlet/thriller sur les probables Etats-Unis de demain, assez agréable à suivre mais peut-être en attendais-je beaucoup, beaucoup, beaucoup trop.