Civil War
6.9
Civil War

Film de Alex Garland (2024)

A la vue de la bande annonce racoleuse de Civil War, on craignait qu’Alex Garland – jadis un brillant espoir du cinéma de SF intelligente avec son Ex-Machina – ne nous déçoive encore une fois en nous livrant un blockbuster bas du front, capitalisant sur l’angoisse du monde (entier, pas seulement états-unien) devant le déchirement de plus en plus violent de la société autour de questions politiques, religieuses ou simplement morales. Heureusement, Civil War est bien différent, et replace même Garland parmi les cinéastes qui comptent.

Oui, Civil War est un excellent film, malgré quelques scories : un discours parfois un peu convenu sur le journalisme et sa fonction, des rapports presque caricaturaux entre les deux héroïnes (Kirsten Dunst et Cailee Spaeny, toutes deux excellentes), une dernière partie sacrifiant un peu la vraisemblance qui avait prévalu jusque là pour nous offrir du spectacle… Mais ce qui est intéressant est ailleurs, et en particulier dans l’idée de construire le film comme un road movie, une traversée des Etats-Unis dévastés par une nouvelle guerre de sécession, qui nous permette de constater par nous-mêmes, et de manière progressive ce délabrement des structures de la société, mais aussi des relations humaines les plus essentielles, dont on sent très bien depuis quelque temps qu’il nous guette.

Au début du film, on en sait très peu sur ce qui se passe, sur ce qui se joue réellement : on comprend qu’on a affaire à un président incompétent, probablement autoritaire (il en est à son troisième mandat), et qu’une alliance s’est créée entre deux états pourtant politiquement opposés, la Californie et le Texas pour renverser le pouvoir central à Washington. Un conflit qui a entraîné le chaos dans quasi tout le pays, les gens s’entretuant en fonction de leurs convictions. Mais ce qu’on va découvrir en accompagnant un quatuor de reporters – journalistes et photographes – se rendant de New York à Washington pour interviewer le président assiégé (recueillir ses derniers mots ?), va matérialiser toutes nos craintes. Certaines scènes évoquent inévitablement les fictions post-apocalyptiques comme Walking Dead ou The Last of Us, mais avec ce soupçon de véracité, de réalisme en plus qui fait toute la différence.

Le talent de Garland est de construire son film en forme de crescendo, jusqu’à une scène terrible, mais également terrible de justesse, conduite par le toujours brillantissime Jesse Plemons : tout y est, de l’exécution sommaire des « mauvais » Américains – quoi que ce soit que ça signifie dans la tête des bourreaux – aux charniers clandestins, en passant par le sentiment que la survie en temps de guerre est une sorte de roulette russe, où un seul mot, un seul geste décide votre sort. La dernière partie du film nous offre enfin le spectacle promis, et devrait satisfaire ceux qui ont payé leur place pour voir un film d’action, heureusement encore une fois traitée de manière réaliste en dépit d’un scénario jouant cette fois sur des clichés (la chute de la Maison Blanche, ce genre de choses).

Le parti-pris de placer des reporters de guerre au centre du récit joue donc pleinement en faveur du film, même si, on l’a dit, Civil War n’apporte rien de nouveau sur le sujet : certains sont des charognards avides de scoops, comme le personnage joué par Wagner Moura, d’autres, « embeddés » au sein des opérations militaires sont seulement là pour servir le discours officiel de l’armée qu’ils accompagnent, et enfin quelques uns gardent un reste de conscience et de morale : pas de surprise ! Pourtant, il faut bien reconnaître que nous ressentons tout au long du film la précarité léthale de leur situation, et que nous admirons leur engagement : Civil War nous rappelle donc qu’il s’agit là d’un métier à hauts risques, essentiel à la préservation d’une certaine vérité au milieu de la propagande qui fait rage. Impossible de ne pas penser à l’Ukraine ou à la Bande de Gaza devant Civil War, un film de « science fiction » qui est en fait d’une brûlante actualité.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/04/18/civil-war-dalex-garland-dune-brulante-actualite/

EricDebarnot
8
Écrit par

Créée

le 18 avr. 2024

Critique lue 1.4K fois

30 j'aime

10 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

30
10

D'autres avis sur Civil War

Civil War
Yoshii
8

« Nous avons rencontré notre ennemi et c'est nous encore » *

Jamais peut-être depuis 1938 (et le canular fabuleux d'Orson Welles, qui le temps d'une représentation radiophonique de "La guerre des mondes" sema la panique aux Etats-Unis), une illustration...

le 15 avr. 2024

117 j'aime

23

Civil War
Plume231
4

Apocalypse Flop!

Ouais, même en poussant au maximum le curseur de sa suspension d'incrédulité, c'est franchement difficile de trouver une once de vraisemblance quant au fait que si, pour le président des États-Unis,...

le 18 avr. 2024

88 j'aime

12

Civil War
Vanbach
3

I don't need your civil war

Voici un produit apolitique par excellence qui agite un sujet brulant sans jamais véritablement l'aborder. La pilule passe facilement par une technique photographique assez jolie et une mise en scène...

le 25 avr. 2024

78 j'aime

7

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

190 j'aime

25