Civil War
6.9
Civil War

Film de Alex Garland (2024)

Alex Garland avait prévenu: il ne cherchait pas à faire un film “de guerre”, mais plutôt à explorer de manière presque anthropologique la violence, à hauteur d’homme – en l’occurence, de photojournalistes. Un peu le même point de départ que Jonathan Glazer et sa zone d’intérêt, qui veut pas faire un film sur la Shoah mais sur la violence ordinaire, et qui décide de tout laisser hors champ. Alex lui décide de tout mettre dans le champ, sauf un contexte. Ce qui fait de sa guerre une zone sans intérêt aucun, privée d’enjeux.

Les comparaisons avec Apocalypse Now sont vite venues, mais nooon, faut pas se laisser avoir par l’affiche, lui a une volonté très différente: celle de faire un film complètement dépolitisé sur la violence politique, qui s’appellerait quand même Civil War. Déjà sur le papier c’est périlleux, et très dommage, vu que la guerre civile est quand même l’un des phénomènes les plus politiques et les plus complexes qui soit. Mais de la complexité, Alex n’en voulait pas. Il voulait du sang, des tanks et des fusils, et une vague justification pour ne pas qu’on l’accuse de glamouriser la violence. Le photojournalisme semble lui être tout droit tombé du ciel.

Un film apolitique et non partisan, ok, mais alors l’enjeu serait de montrer les visages de ces reporters suivant la guerre civile, de construire des personnages dont on comprendrait les motivations à faire un métier quand même particulier. Et ben non. Le film est plutôt très grossièrement écrit, avec des dialogues d’exposition lourdingues (“Tu t’appelles Lee comme mon idole la connais-tu c’est la première photographe à être entrée à Dachau et toi Lee Smith tu es aussi mon idole vu que tu es la plus grande reporter actuelle je suis heureuse de te rencontrer!”) ou des redondances entre ce qui est dit et ce qu’on voit comme ça on est sûrs d’avoir bien compris (“Il n’y a pas de réseau mais mon téléphone est quand même utile pour montrer mes photos!” suivi d’un gros plan sur le téléphone qui affiche “PAS DE RESEAU” et qui montre les photos). En conséquence, je ne sais pas si les acteurs sont les seuls à blâmer pour leur très piètre performance. Je pense qu’il fallait un sacré talent pour faire vivre des personnages sans motivation ni dimension, évoluant dans un univers qu’ils ne comprennent pas. En effet, une des conséquences du caractère apolitique du film, c’est de rendre son monde complètement flou. Ce qui veut dire qu’il n’y a aucun enjeu clair dans cette guerre civile. C’est pratique, y a moins besoin de se creuser la tête pour trouver une intrigue géopolitique qui pourrait motiver tout ça. Mmmh c’est vrai que ça semble super compliqué à trouver vu la situation aux Etats Unis en ce moment… Ahhh mais j’oubliais que faire ça, c’était risquer de polariser l’audience et ça quand on est A24 c’est inimaginable. La choquer, pourquoi pas, avec des scènes de violence toujours plus créatives les unes que les autres et sensationnalistes au possible (l'immolation par le feu et la fosse de cadavres en tête). Mais proposer une réflexion politique ou sociale un peu plus fine, ce serait bien trop risqué. Non non, Alex revendique de s’être écarté de la politique trop clivée qui agite son pays aujourd’hui, pour construire une intrigue vague qui n’en fera justement pas, des vagues.

Disons qu’on prenne quand même les trois infos qu’on a sur cette “guerre civile” au sérieux. La guerre civile part d’une sécession du Texas et de la Californie, les deux Etats les plus peuplés du pays, pas franchement voisins. On a aussi la Floride qui aurait vaguement pris son indépendance aussi et qui serait chaude de rejoindre les deux premiers. Première incompréhension: comment le Texas et la Californie comptent concrètement former un Etat ensemble en étant si éloignés, ce qui semble être le but vu qu’ils ont un petit drapeau tout mignon à deux étoiles?? Et quelles sont leurs motivations, étant données qu’ils ont politiquement pris deux bords très différents? Et pourquoi vouloir buter le president américain si le but n’est pas de le renverser? Pour installer une marionnette à la botte du nouvel état à la place?? Dans ce cas c’est plutôt un coup d’état qu’une guerre civile. Et comment Joel et Lee pensaient arriver à interviewer le président si c’est l’homme le plus recherché du pays?? On en saura pas plus. Alors acceptons juste que les Forces Occidentales (Californie + Texas... le nom sera bien sûr pas justifié donc cherchons pas) veulent renverser un gouvernement autoritaire. Il n’y a finalement que deux autres enjeux politiques qui seront évoqués: une vague pénurie d’eau, mais nos protagonistes n’auront aucun problème à trouver à boire et à manger jusqu’à la fin du film (on comprend qu’il fallait juste un prétexte pour l’émeute urbaine de la scène d’ouverture). L’autre enjeu, c’est la multiplication de factions (para)militaires, sans allégiance particulière. Ou plutôt dont les soldats (ou le film) semblent pas trop savoir pour qui ou quoi ils bossent. Certes, ça montre bien que cette guerre n’a pas de camps très nettement définis, et que comme toutes les guerres, des intérêts particuliers émergent (de toute façon les spectateurs ne pourront pas choisir un camp non plus, puisque ces connards ne savent pas pourquoi on se bat). Mais du coup, au climax de la violence

(la mort de mon ami Tony à la fin de ses cinq minutes contractuelles de présence à l’écran),

on recourt à la xénophobie pour expliquer les agissements des soldats et hop on passe à autre chose. La guerre civile se teinte alors de racisme : c’est pas consensuel du tout ça c’est bien, ça nous permet vraiment d’envisager les bourreaux ordinaires d’une guerre de manière profonde: bien joué Alex!!

Décider de ne pas justifier la guerre civile, c’est faire reposer énormément de pression sur les personnages, seuls points d’accroche d’un film sans intrigue. Pour ça, il aurait fallu les travailler un peu, ce qui ne semble pas avoir été la priorité de ce bon vieux Alex, trop occupé à choisir la teinte de vert fluo de la typo du film. Pas un seul d’entre eux n’est attachant ou n’a un semblant de profondeur, par exemple, un doute vis-à-vis ce qu’il fait, et le film semble presque s’en délecter. On a le gros bourrin Joel qui fait ça par goût de l’adrénaline . Il fait même pas de photos, il est journaliste, et on ne le voit jamais écrire ni travailler, à part quand il tente une pseudo interview de snipers qui coupe court, nous permettant jamais de le voir autrement que comme un gros bourrin de première (si au moins il avait eu un flair, été bon à son job, n’importe, ça l’aurait rendu un peu plus estimable). Au lieu de quoi il a juste l’air d’un gros voyeuriste, mais pas de manière assez constante pour que ça puisse devenir un enjeu de la narration. L’acteur est l’un des seuls à avoir un peu de peps, mais peut-être un peu trop. Il surjoue tout le temps, et quand il se met à hurler et pleurer, le monteur coupe le son pour mettre de la musique à la place, ce qui m’a un peu amusée (il aurait pas fallu trop l’humaniser en montrant sa tristesse!).

Lee, l’héroïne, reste complètement distante au sujet et au film jusqu’à la fin, et Kirsten Dunst aussi. Elle a l’air de se faire chier comme un rat mort. Je n’ai rien éprouvé pour elle de A à Z, elle a juste l’air cynique et soûlée tout le temps. Donc je vais directement passer à ma chouchoute, qui elle pour le coup m’a inspiré de forts sentiments: Jessie, joué par Cailee Spaeny aka Priscilla qui aurait peut-être dû se contenter de ce seul film cette année. Je n’ai jamais haï un personnage autant que je déteste Jessie (Tony le mec de la voiture est numéro 2). Sa seule raison de faire les choses, c’est qu’on lui dit de ne pas les faire POUR SA PROPRE SECURITE, ce qui la rend extrêmement vite très irritante. Le réalisateur lui-même semble mettre un point d’honneur à ne lui donner aucune personnalité à part celle d’une adolescente mal élevée

et il n’est décidément pas tendre avec elle puisqu’il va jusqu’à la rendre responsable de la mort de Lee. De quoi la rendre encore plus sympathique. Fort heureusement, on s'en fout un peu que Lee meure car on s'en fout un peu de Lee.

Le jeu de Spaely est plat quand il n’est pas complètement faux; tout comme Dunst, elle semble à côté de la plaque la moitié du temps, peut-être que c’est l’effet que ça fait d’avoir été dirigée jeune par Sofia Coppola. Mention spéciale au moment où elle dit qu’elle s’est jamais sentie aussi vivante et qu’elle a l’air complètement morte. Enfin, Sammy est plutôt sympa même si on ne comprend pas bien ce qu’il fout là (jusqu’à ce qu’il serve à quelque chose dans l’avancement de l’intrigue et qu’on comprenne qu’il servait à faire ça. Tout comme la pénurie d’eau servait à faire rencontrer les deux femmes. Et que les amis servaient globalement à mourir, pour montrer que la guerre c’est quand même pas très chouette).

Et c’est là ce qui est le plus dommage, y avait tellement à dire sur les reporters de guerre, c’est une pratique qui peut être questionnée sur tellement d’aspects et qui soulève tellement de questions éthiques qu’au départ le film semblait prometteur… et s’il avait vraiment interrogé les paradoxes et les limites du photojournalisme, j’aurais pu lui pardonner bien des erreurs. L’enjeu aurait été d’y aller à fond, d’affronter les ambiguïtés de la profession et les motivations de chacun même si celles-ci étaient moralement questionnables. Par exemple, l’idée d’une concurrence à qui aura la dernière image du président était intéressante, mais il aurait fallu la développer.

Ou alors, le caractère voyeuriste des personnages confrontés à une violence filmée de manière presque pornographique aurait pu être aussi poussé à son paroxysme, avec une Jessie qui déplacerait les cadavres pour améliorer ses photos ou que sais-je. Dès que le film fait un pas dans cette direction, il s’arrête immédiatement, ému par son audace. La scène du magasin de vêtements est un bon exemple d’opportunité ratée: Joel commence à s’indigner du fait que la vendeuse veuille ignorer la guerre en cours. Super occasion pour elle (et donc pour le film) de le faire s’expliquer sur ses motivations à lui de suivre la guerre de si près sans jamais y prendre partie; sur ses motivations peut-être un peu plus inavouables, sur le fait que sa position peut être moralement aussi questionnable que celle de la vendeuse… Mais noooon regardons plutôt ce bon vivant de Joel essayer des chapeaux et écouter l’insupportable Jessie insulter Lee, sa supposée idole envers laquelle elle manque de respect à chaque scène (il ne faudrait pas qu’on ne voit pas les personnages comme des héros!).

Parce qu’un film de guerre apolitique qui veut interroger la violence et les individus qui y sont confrontés, mais qui pousse aucun curseur assez loin pour le faire et se donne pas la peine de construire ses personnages, c’est juste un film de guerre en fait. Mais un film de guerre qui s’assume pas vraiment parce que vous voyez c’est A24 donc ils sont TROP INDES ET ARTY. Donc oui l’herbe sera vert fluo pendant tout le film, les images au mieux fades, au pire dégueulasses, avec une surexposition quasi constante de l’arrière-plan. Mais elle vous gênera pas, vous en faites pas, parce que chez A24 apparemment on n’a pas découvert la double focale et pour qu’un film ait l’air vraiment art-house et vraiment pellicule on a pas d’autre choix que d’avoir le second plan complètement flou. (Et non, je refuse de trouver des excuses au film en disant que c’est l’oeil de la reporter qui met de la cohérence dans le chaos ou qui choisit, en 4e pouvoir tout puissant, ce qui est digne d’être vu ou pas. Tous ces procédés flemmards servent simplement à rappeler que c’est un film A24). Les décors sont très laids, et semblent avoir été choisis la veille du tournage. Le choix de mettre des musiques en complet porte à faux avec les scènes d’une extrême violence, que c’est original et radical comme proposition! Ça risque de diviser les foules! Bon quand même quand y a une scène triste on met une petite balade à la guitare sur des images de braises esthétisées sinon c’est un peu trop choc. Les 20 dernières minutes on arrêtera globalement de faire comme si Civil War avait été autre chose qu’un film de guerre qui osait pas en porter le nom, en adoptant le fameux style jeux vidéo FPS pour la traque finale. Et surtout surtout, on clôturera le film sur une petite blague sardonique de Jojo, décrédibilisant toute la tension construite par cette guerre civile et l’importance du moment, comme ça on vous le rappelle bien : ce n’est pas un film qui prétend avoir un discours sur la chose politique, ne lui prêtez aucune intention car ça pourrait faire baisser le nombre d’entrées. A la limite, dites que c’est post-moderne dans son traitement cynique de la guerre, et dans son relativisme axiologique. Comme ça la fanbase d’A24, qui a dû être un peu déconcertée, aura de quoi défendre le tout.

En fait, c’est ça le plus frustrant. Pas que le film soit mal écrit ou très laid. Mais qu’il semble soit frileux à aborder son sujet ou à prendre de vrais partis pris à part la violence gratuite, ce qui serait à la limite de la lâcheté mais pas très grave, soit trop paresseux pour le faire, et là c’est plus embêtant. Le film ne trouve jamais son ton, pose un regard cynique sur les médias mais pas vraiment, sur la guerre mais pas vraiment, en, fait il ne sait pas où il va. Il compte clairement sur les spectateurs, alors qu’une élection arrive bientôt aux états-unis, pour donner un sens et une profondeur à un film qui n’avait somme toute pas grand chose à dire. C’est un peu limite. (cf alex lui même: “The viewer is required to make their own interpretation,” the director said. “The film is actually being opaque. It’s forcing the viewer to ask questions.” => la paresse est totale, tu peux te permettre de dire ça quand t’as fait la zone d’intérêt et que t’as un peu pensé ton coup sinon c’est niveau philo terminale). La prochaine fois j’allumerai CNN.

canutins
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le 21 avr. 2024

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