Ayant toujours apprécié le cinéma d'Alex Garland, que ce soit comme réalisateur et/ou scénariste, sa proposition labélisée "blockbuster d'auteur" m'intriguait fortement. Se posant dans un contexte particulier, Civil War s'annonçait comme étant le projet le plus ambitieux du réalisateur à ce jour et mes attentes ont été totalement comblées. Avec Civil War, Alex Garland réussit un road trip tendu, sans concession, sans censure et viscéral, pour déployer un récit le plus réaliste possible lors d'une guerre civile. Et le rythme du film est très particulier avec des séquences intenses et tendues qui s'enchaînent au milieu de moments contemplatifs à la Apocalypse Now.
Avec Civil War, Alex Garland met en image une nation plongée dans le chaos total. Et comme dans n'importe quel road movie, nous suivons l'errance des personnages principaux (quatre journalistes) lors d'un périple sur les routes pour atteindre une destination finale. Ici, la destination finale, c'est Washington pour interviewer le président des Etats-Unis (Nick Offerman). Et notre petite équipe de reporters se compose de la photo reporter Lee (Kirsten Dunst) et de son collègue Joel (Wagner Moura), accompagnés du vieux Sammy (Stephen McKinley Henderson) et de la jeune Jessie (Cailee Spaeny). Ils voguent au milieu des horreurs à petite échelle et rencontrent une multitudes de personnages qui en profitent pour régler leurs comptes personnels (les deux employés de la station essence, le sniper, un Jesse Plemons absolument terrifiant ...). Et plus ils se rapprochent de la destination finale, plus le film se transforme en guerre démesurée avec des moyens militaires totalement colossaux.
La grande force de Civil War, c'est qu'il ne s'étend pas vraiment sur "le pourquoi du comment ?" de cette guerre civile, sur qui sont les gentils et qui sont les méchants. Il n'y a donc pas vraiment de gentils, ni de méchants. Peu importe qui l'a commencée, une fois lancée la guerre civile transforme tout le monde en monstres. C'est un processus d'habituation à la violence et tout le monde est un ennemi potentiel. Ce flou est bien dépeint dans la scène du sniper. Dans tous les cas, la guerre civil c'est moche et il faut parfois se battre uniquement pour sa survie.
Alors certes, le président des Etats-Unis est en quelques sorte le grand méchant du film. Il permet aussi d'en savoir un peu plus sur les raison de ce conflit, d'avoirs quelques explications sur le "pourquoi et le comment" de cet embrasement des Etats-Unis. Cependant, à aucun moment Alec Garland ne nous donne plus d'explications que nécessaire. À travers ce personnage, il nous donne tout de même des causes indéniables de la guerre civile. Ainsi, ce président a été élu deux fois, mais il a bafoué les règles établies en briguant un troisième mandat. Ensuite, on apprend qu'il a dissout le FBI, qu'il a bombardé des civils et que le dollar américain ne vaut plus rien.
Suite à ces événements, certains Etats américains se sont regroupés afin de tuer le président, coûte que coûte. Tout le propos du film est politique, un président fasciste qui viole tous les amendements constitutionnels en faisant un troisième mandat, deux énormes Etats politiquement diamétralement opposés avec la Californie (les Démocrates) et le Texas (les Républicains) qui se joignent pour faire respecter la constitution. C'est dans ce contexte de chaos que nous suivons nos quatre journalistes aux caractères très différents. Ils ont chacun leurs raisons de faire ce voyage et ont chacun leurs raisons de faire du journalisme et tous vont évoluer au cours de ce périple sur les routes.
Le film nous montre que pour être photo reporter de guerre, il faut se forger une carapace solide (notre "homard intérieur"). Une fois sur le terrain, il faut savoir se blinder et à se fermer à toutes émotions pour capturer "l'instant", en faisant en sorte que l'appareil photo devienne une extension de son corps. C'est seulement une fois de retour dans la chambre d'hôtel, que les trauma refont surface. On le voit chez le personnage de Lee qui se remémore les horreurs du passé (l'africain dans le pneu, image qui a imprimé ma rétine et m'a fait frissonner). Lee est de plus en plus fatiguée, désabusée et l'adrénaline du " Shoot parfait" ne la fait plus vibrer, ce qui l'a conduit jusqu'à cet instant clé final ...
En se mettant en danger, elle sauve la vie de Jessie, comme un passage de flambeau et une porte de sortie logique pour elle qui n'avait plus la flamme ... alors que son collègue Joel et la jeune Jessie entretiennent toujours la flamme. D'ailleurs, ils ne la calculent plus, pris dans la chasse au lion.
Pour Jessie, c'est un long apprentissage. Après s'être vu, entre autres, finir dans un charnier où sont entassés des cadavres et d'avoir littéralement nagé dedans, il y a alors un basculement un peu suicidaire qui la pousse à de se mettre sans cesse en danger. C'est souligné par les militaires qui ne cessent de la repousser pour la mettre en sécurité. Qui plus est, Jessie utilise de "vrais" appareils photos, qui font de "vrai" photos, de l'argentique, de la chimie, ce qui résume bien ce personnage idéaliste et naïf. L'avidité, la découverte des situations de crise, l'absence totale de moralité ... beaucoup de spectateurs n'ont pas compris le film et pense que Lee est la "dure" de l'équipe, celle qui a tout vu, tout connu, une femme blindée et fermée aux sentiments. En réalité, elle est bien plus fragile qu'elle n'y paraît, comme en atteste cette scène où elle essaie une robe avec Jessie qui la prend en photo. C'est le point de bascule pour elle dans le film, c'est la première fois depuis très longtemps qu'elle se voit en "vraie" femme. Ensuite, sa carapace se fissure de partout et elle ne va tenir que grâce à l'expérience. Non, le vrai "monstre" froid dans Civil War, c'est Jessie comme elle le démontre clairement à fin du film. Tout le long du film, l'évolution de Lee et de Jessie sont diamétralement opposées.
Alors, qu'est ce qu'une bonne photo et qu'est-ce qu'un bon photo reporter finalement ? Tout d'abord, avoir de l'empathie, ça ne semble pas être une condition nécessaire pour devenir photo reporter. Au contraire, il vaut mieux être insensible et dépourvu d'émotions. Ensuite, une bonne photo, c'est une photo qui raconte une histoire et peu importe qu'elle soit vraie ou fausse. Une bonne photo, c'est une belle photo d'un point de vue esthétique. Une bonne photo, c'est donc de l'information et de l'art ... ou presque ! Vient ensuite la question de la neutralité du photo reporter. Quel prix sommes-nous prêts à payer pour obtenir ces photos ? Sommes-nous prêts à laisser des humains mourir devant l'objectifs sans leur venir en aide, tout en esthétisant ces morts via le noir et blanc, via la recherche du bon angle et de la bonne luminosité.
Bref, que ce soit les acteurs, les décors, la mise en scène, le son, les musiques ... tout est réussi et l'immersion est totale. Civil War est un film puissant et intense, à en retenir sa respiration par instant. Tout est dans ce subtile mélange entre silences et scènes assourdissantes, entre suggestion et spectaculaire, pour un film qui, quoiqu’on en pense, ne laissera personne indifférent ... un film éprouvant et à ne pas louper assurément !