Civil War
6.9
Civil War

Film de Alex Garland (2024)

Road trip dans la violence pour une quête d'images choc, d'images vraies, d'images belles

Ce nouveau film choc d'Alex Garland, qui une fois de plus choisit de représenter "quelque chose qui nous dépasse" en prenant cette fois-ci le contexte d'une guerre civile étatsunienne moderne, nous plonge dans un univers d'autant plus glaçant qu'il semble se situer à mi-chemin entre science-fiction et anticipation. Parmi ses thèmes centraux figure le pouvoir des images, montré à travers le point de vue de photographes reporters de guerre dont le but est de documenter un conflit sur le terrain, cherchant à la fois à représenter la réalité de la violence brutale des combats et à produire de la "belle image", des photos choc qui leur vaudront reconnaissance et renommée dans leur milieu. Dès lors, leurs appareils photos sont traités comme des armes, chaque cliché devenant comme un tir détonant lancé pour figer un instant crucial à préserver dans les mémoires et pour la documentation de l'histoire de la guerre. La photographie du film est elle-même particulièrement soignée, accompagnant parfaitement la métaphore paradoxale de la "belle image" de la guerre, jusqu'à arriver à une certaine beauté de la violence. Sublimer la violence pour la rendre plus marquante et mieux la dénoncer.

Ces personnages fascinés par la violence qui se déploie autour d'eux restent cependant profondément humains, soumis au danger et au traumatisme des horreurs et de la terrible réalité dont ils sont témoins au quotidien. On craint pour leur vie à chaque instant, alors qu'une tension extrême parcoure le film et nous plonge en immersion totale dans le récit. Cette atmosphère est constamment entretenue par un formidable travail de montage, se faisant succéder des scènes plutôt longues au sein desquelles tension et nervosité vont crescendo, mais aussi par le soin apporté au son et à l'image.

On retiendra particulièrement des personnages de Lee et Jessie, reflets inversés l'une de l'autre. Lee - interprétée par la brillante Kirsten Dunst - se présente d'abord comme une figure expérimentée, un mentor protecteur sous ses allures rigides et peu avenantes. Mais c'est aussi une femme ambitieuse, à la recherche de clichés bruts et instantanés, montrant la réalité de la guerre dans toute sa froideur dans l'espoir de mieux éveiller les consciences. Motivée par la quête qu'elle s'est donnée, elle ne recule pas devant le danger mais connaît aussi des moments difficiles. Au fil du récit, et au fur et à mesure que les événements ravivent des traumatismes passés et provoquent en elle un nouveau choc (d'autant plus violent et dévastateur que cette fois, ce ne sont plus des étrangers et objets de ses clichés qui sont affectés, mais des gens auxquels elle tient), elle devient le sujet d'une forme de crise existentielle en perdant non seulement des proches, mais aussi ses repères et son objectif.

Jessie, quant à elle, apparaît d'abord comme une novice pleine de bonne volonté et d'énergie mais encore peu assurée, manquant d'expérience et de bon sens, et perdant ses moyens face aux horreurs de la réalité du terrain. Cependant, elle aussi aiguillée par son ambition, guidée par les conseils de ses mentors et servie par un talent naturel qui se révèle au cours du film, elle finit par devenir la photographe de génie qu'elle admirait en Lee - à la différence près qu'elle ne photographie pas le réel de la même façon. Portée par son propre style et par une vision esthétique différente, elle utilise l'art de la photographie et les techniques traditionnelles - ici la photographie argentique noir et blanc - de façon quasi cathartique pour surmonter ses peurs et traumatismes (par exemple en prenant aussi en photo les êtres humains dans toute leur sensibilité et leur vulnérabilité, s'attardant sur les corps et visages, les postures, les expressions et les détails pour transmettre au plus près leurs émotions), et est prête à se mettre en danger pour obtenir le cliché qui fera d'elle une héroïne et pour créer son propre chef-d'œuvre.

Le film se clôt alors sur la complétion de cette quête d'images dans laquelle se sont lancés les personnages, non seulement avec la prise du cliché de la mise à mort du président, point final (?) de cette guerre civile, mais aussi avec la photographie de Lee par Jessie, puissamment symbolique. De témoin, Lee devient ici pleinement actrice et victime de la guerre en sortant de sa torpeur pour secourir Jessie, jusqu'à se transformer en objet de photographie pour cette dernière (qui capture dans un ultime et superbe cliché la chute de son héroïne, modèle, mentor et prédécesseur pour l'inscrire définitivement dans l'histoire du conflit) et à lui laisser le champ libre pour reprendre le flambeau.

EctoplasMan
9
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le 20 mai 2024

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