La proie
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le 30 sept. 2020
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Un portrait réaliste, chirurgical et froid d'une call-girl. Claire Dolan ouvre les portes intimes de la vie d'une femme sans pour autant jamais porter sur elle le moindre jugement, mais aussi sans vraiment en donner les clefs. Ce film a donc quelque chose d'assez scientifique sur le plan formel, et relève plus de l'observation que de la démonstration. Le réel, c'est le ballet des corps, la danse des pulsions. C'est cru. Ça se passe de dialogues et de fioritures. Gardons-nous donc d'y chercher aucun artifice trop visible, aucun fil cherchant à faire surgir, à élaborer une empathie de surface, vaine et superficielle, comme trop souvent dans les films traitant de misère sociale ou de ruine psychologique : l'empathie dépendra, en somme, de la réaction du spectateur...
Aussi à travers un choix esthétique caractérisé par une certaine froideur, Lodge Kerrigan semble vouloir présenter et dévoiler un être comme il ferait une expérience, offrant un regard, une optique, une tranche de vie entrapercue. Nous voilà semblables à l'une de ces multiples fenêtres - figures centrales d'un espace urbain filmé magnifiquement et avec une rare intelligence - omniprésentes dans l’œuvre, montrant un corps, une femme admirablement incarnée (est-ce encore un personnage filmique, tant il semble réel, plein?) relatant sa souffrance au quotidien, ses quelques joies, ses errances...
Claire, une vie doublement contrainte : prisonnière d'un maquereau au paternalisme sournois et pernicieux d'abord, topos qui ne se s’essouffle pas trop tant le jeu d'acteur qui le porte est assez juste. Claire est ensuite esclave d'une ville, et c'est sur ce point, à mon avis, que le film gagne en originalité, se démarque du film de "genre". La ville, ici: quasi-hypnotique, mangeuse d'individualités, hydre de béton véritablement mangeuse de chair. Tout le long du film, c'est une sorte de flot dans lequel Claire n'arrive pas à nager, et où même elle se dilue. Impossible de ne pas penser aux paroles de Lhasa :
Moi aussi…/ Moi aussi
J’arrive à la ville / Pour y verser / Ma vie
Je monte la rue / Comme un géant
Ça c'est la ville / Et ça… / C’est ma vie
C'est le point qui m'a le plus intéressé, ce regard porté sur la ville, toujours en arrière plan de ce personnage touchant qu'est Claire, cette omniprésence des fenêtres qui traverse l’œuvre. Ce serait peut-être dire, pour Kerrigan, la rudesse du monde urbain : pervers comme nous le sommes, nous, ces frères hypocrites tels les lecteurs d'un Baudelaire, jamais bien loin pour regarder, scruter, renfermer dans des blocs de béton et de verre, arracher des miettes d'un espace intime. Le divertissement s'engage un peu plus sur une pente malsaine, mais nous, spectateurs, sommes bien innocents ! Et bien à l'abri derrière notre paroi de toile ou de verre...
Le jeu d'acteurs est très bon, l'histoire peut-être un peu convenue mais traitée avec justesse. Un portrait de femme assez saisissant tant il semble proche du documentaire.
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Créée
le 12 oct. 2012
Modifiée
le 12 oct. 2012
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