Bon j'avoue d'emblée que ma note est sans un peu trop élevée et que le capitale sympathie que j'éprouve pour Raphaël Delpard et cet ovni cinématographique rare et brut qu'est Clash compte forcément un peu dans le fait de surcoter un poil le résultat (Objectivement 06/10 serait plus juste). Trois ans après La Nuit de la Mort et un petit détour vers un film de bidasses pour payer ses factures , Raphaël Delpard revient au cinéma de genre à la française à une époque ou seul Jean Rollin occupait vraiment le terrain dans le domaine. Clash se verra même offrir l'insigne honneur d'ouvrir le festival d'Avoriaz en 1983 peut être pour le plus grand malheur du réalisateur. Venu présenté vite fait son film en plein tournage d'un téléfilm et entre deux avions, Raphaël Delpard lance un laconique "Vous allez assisté au plus beau film que vous n'ayez jamais vu" avant de se barrer illico en refusant le moindre point presse aux journalistes et critiques présents. Le film se fera totalement massacré par la critique et sera longtemps moqué par le milieu du cinéma hexagonale à tel point que Raphaël Delpard honorera contractuellement mais sans envie un dernier tournage avant de se retirer complétement du cinéma avec l'âme meurtrie de quolibets. Clash restera donc le chant du cygne d'un réalisateur qui aura tenté d'ouvrir les portes du cinéma de genre en France quitte à y laisser des plumes. Clash reste encore aujourd'hui un étrange film qui ne plaira pas à tous, un poème morbide et horrifique sans trame cartésienne dans son histoire capable de belle fulgurances comme de profondes maladresse. Une chose est certaine en revanche le film ne méritait pas cet acharnement qui a poussé un honnête et singulier artisan du cinéma d'horreur français à se retirer définitivement des écrans.
Clash raconte l'histoire de Marie un jeune femme qui par amitié/amour pour un homme accepte de passer en douce une mallette remplie de billet à la frontière. Elle devra ensuite attendre plusieurs jours dans une usine désaffectée que l'on vienne récupérer la précieuse valise. Isolée Martine commence à ressentir une présence étrange et elle sombre alors dans un univers dans lequel s'entrechoquent ses cauchemars d'enfances, ses pulsions, ses blessures et ses fantasmes.
Avec Clash, Raphaël Delpard abandonne la trame narrative classique dont il faisait preuve dans La Nuit de la Mort et nous propose un film bien plus évasif et décousu conçu comme un long poème morbide et un collage de situations étranges. Forcément ce n'est pas le genre de film auquel il est facile d'adhérer en se raccrochant à un récit qui va d'un point A à un point B avec un cheminement linéaire. Après l'exposition sommaire des enjeux et des personnages Clash nous plonge donc dans les peurs, les doutes, les cauchemars et les fantasme d'une jeune femme isolée qui se retrouve plongée dans son esprit et les propres représentation de ses peurs notamment enfantines. Clash est donc un thriller horrifique qui va fonctionner de manière allégorique, fantasmagorique et un peu lourdement psychanalytique ; l'essentielle de ce qui se passe à l'écran devant être accepter comme étant la vision de son héroïne luttant avec une représentation physique de ses propres démons. Après soit on s'abandonne et on se laisse porter par cet univers d'un vrai film d'horreur et d'auteur avec tout ce que cela implique aussi parfois de prétention, soit on reste sur la touche et le film va alors vous paraître complétement abscons, un peu ridicule et surtout très très très très long. Car même pour moi qui aime beaucoup le film je dois reconnaître que l'on sent le poids du temps malgré les petites 98 minutes.
Je ne sais pas vraiment si le film fonctionne dans son intégralité mais il offre pour moi de vrais bons moments de cinéma de genre tout à la fois oniriques, singuliers, étranges, baroques et horrifiques. On sent dans les choix de Raphaël Delpard une vraie envie de cinéma, un vrai désir de faire des images fortes qui empruntent autant à l'expressionisme allemand qu'aux fulgurances baroques d'un Mario Bava ou l'horreur graphique de Fulci. Si par moments le film n'évite pas un certain ridicule un peu précieux il réserve aussi plein de chouettes moments de cinéma. Clash est parfois poétique comme avec la séquences des têtes de mannequins qui tournent sur elle mêmes dans une ambiance colorée et pluvieuse digne de Suspiria , parfois surréaliste comme cette petite fille qui fait face à des terreurs nocturnes et doit trouver le courage d'atteindre un interrupteur à la taille démesurée, parfois tendu comme lorsque cette jeune femme se cache terrorisée d'un rôdeur avec son chien, parfois bien gore et douloureux comme cet œil percé d'un coup de talon ou ce visage frotté contre un mur crépi (Effets spéciaux du regretté Benoit Lestang) et même parfois joliment érotique. Le film de Raphaël Delpard n'évite pas non plus quelques moments moins brillants voir un peu ridicule comme lorsque l'héroïne se retrouve coincé dans son duvet ou qu'elle assiste à une bagarre neurasthénique entre deux personnages. Mais globalement le film baigne dans une ambiance singulière qui fait tout son charme, le réalisateur exploitant plutôt bien son décor d'usine désaffectée remplie de mannequins. Le film co-produit avec la Yougoslavie se tournera d'ailleurs là bas avec une armée de techniciens locaux entièrement dévoués aux visions du réalisateur.
Niveau casting , faute d'avoir réussi à convaincre Miou-Miou qui ne comprenait strictement rien au scénario ; Raphaël Delpard finira par choisir la comédienne Catherine Alric bien plus estampillée actrice solaire de comédie ( Tendre poulet - On a Volé la Cuisse de Jupiter - Pétrole Pétrole - La Revanche - T'Empêche Tout le Monde de Dormir) que comédienne sombre et torturée de film d'horreur. Présente quasiment de la première à la dernière seconde à l'écran Catherine Alric porte une bonne partie du film sur ses épaules dans un registre difficile tant à la fois physique que psychologique et même si ce serait mentir de dire que la comédienne et toujours parfaitement juste elle s'en sort globalement bien dans un registre totalement à contre emploi de ses rôles habituels. Face à elle dans le rôle de l'homme matérialisant les peurs et les traumatismes de Martine on retrouve Pierre Clémenti un acteur de seconds rôles fantasque et lunaire qui incarne ici une sorte de présence étrange mi croque mitaine, mi croque mort; tantôt silencieuse et tantôt chantant d'étranges psalmodies. Le comédien s'en sort vraiment bien apportant tout son étrangeté et son charisme à cette menace indéfinissable tel un spectre ambulant.
Clash reste un film rare et inclassable qui aura donc marquer la fin de carrière de Raphaël Delpard; quand on pense aux nombres de réalisateurs médiocres que la critique assassine n'auront jamais empêcher de continuer à polluer les écrans on ne peut être que triste du destin du réalisateur de La Nuit de la Mort et Clash. Raphaël Delpard a sans doute essuyé les plâtres et les moqueries pour entrouvrir la porte au cinéma de genre français, depuis et fort heureusement de nombreux réalisateurs se sont glisser dans l'ouverture jusqu'à faire complétement exploser la porte et les gonds. Il convient donc de ne pas oublier ce monsieur qui avait foi en l'horreur et le fantastique et auquel l'excellent éditeur Le Chat qui Fume rend donc un bien bel hommage avec une magnifique copie UHD de Clash.