Sous ses faux airs de sitcom prenant pour cadre principal le petit appartement de la protagoniste, Claudine se présente comme une comédie dramatico-romantique afro-américaine centrée sur la relation hétéroclite entre un éboueur et une femme de ménage mère de six enfants. Au début des années 70 américaines, en plein milieu de l'effervescence portée par la blaxploitation, on pouvait s'attendre à un Black Caesar, un Boss Nigger, un Dolemite ou une énième frasque de Melvin Van Peebles. Mais pas du tout : en réalité, on se situe davantage du côté de la peinture intimiste et de la fresque familiale, dans un film réalisé par un Blanc, avec une justesse et une sensibilité toutes deux incroyables pour décrire l'amour naissant et les conditions d'existence de ses personnages en galère dans un quartier de Harlem.
À ce titre, sur un sujet très similaire ancré dans la décade précédente, on pense bien plus au magnifique et bouleversant Un homme comme tant d'autres (1964, Nothing But a Man), inoubliable, qu'au Killer of Sheep de Charles Burnett, plus rugueux, très social, et dont le visionnage éprouvant peut s'avérer très peu gratifiant.
Mais la critique sociale de Claudine l'inscrit dans une dynamique toute autre par rapport à tous les films cités, une plongée dans la communauté noire observée à l'aune de ses contraintes familiales et de ses dilemmes moraux : on évoque l'état providence et l'emploi / le chômage, la vie de famille et le mariage, et en sous-texte se développe un discours assez clair sur le caractère systémique des inégalités sociales. John Berry opte à de nombreuses reprises pour un angle d'attaque comique, notamment lorsque les services sociaux viennent inspecter l'appartement exigu de Claudine et de ses six enfants pour vérifier qu'elle ne truande pas l'état en travaillant au black ou en jouissant de matériel non-déclaré — ce qui donne lieu à un running gag où toute la famille s'active pour cacher un grille-pain, une bouilloire et une lampe (qu'on lui a offerts) dès que l'assistante sociale pointe le bout de son nez.
Derrière la comédie, on souligne l'absurdité de la situation, qui enferme la femme dans son statut de mère célibataire : elle ne peut pas travailler comme femme de ménage pour un salaire de misère au risque de perdre ses allocations essentielles, et elle doit rendre des comptes (fort humiliants) pour tout le versant sentimental et sexuel de son existence. Et c'est là où le film frappe fort : la relation entre Diahann Carroll et James Earl Jones (la voix de Dark Vador, tout de même) est très touchante, d'une sincérité et d'une justesse épatantes, avec des allers-retours intéressants chez ce dernier entre le grand séducteur dès qu'il s'éloigne des poubelles et le père de famille qui supporte difficilement les responsabilités. Le rapport entre les deux, entre hésitation, tension, spontanéité et authenticité, porte tout le film.
En bonus : la bande originale est composée par Curtis Mayfield, interprétée par Gladys Knight & the Pips.
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