Un éboueur s'éprend d'une mère célibataire, qui a six enfants. Si leur relation à eux deux se passe très bien, les responsabilités d'être un nouveau père vont être pesantes pour cet homme.
Quand on me demande quelle est ma décennie préférée dans le cinéma, je réponds sans hésiter l'Amérique des années 1970, car sous les films dits évidents, on trouve toujours des pépites méconnues. C'est à la fois génial et terrifiant en même temps, car c'est un puits qui semble sans fin. A l'image de Claudine, dont je n'en avais jamais entendu parler jusqu'à ce que l'annonce de sa sortie chez l'éditeur américain Criterion fin 2020 ne lui donne un coup de projecteur. A l'image de l'affiche, c'est un film où 99 % des gens à l'écran sont noirs, dans le quartier de Harlem, et pourtant, c'est écrit et réalisé par des gens de couleur blanche, à savoir le couple Pine et John Berry. Et pourtant, on croirait voir un film du type Blaxploitation comme il y en avait à l'époque, revendicateur, et pas du tout, le film présente une relation entre deux êtres de couleur, mais le en couleur est de trop tant les personnages sont intégrés, si on excepte le fils ainé de Claudine qui lui est dans le droit des noirs.
Mais c'est en fin de compte une excellente histoire sur un type qui a peur de s'engager, point. Formidablement interprété par James Earl Jones (dont on reconnait tout de suite la voix si singulière), dans un de ses seuls premiers rôles, il dégage une grande sympathie, parfois balourd dans la drague, mais il est clairement fou amoureux de Claudine. Une femme de 36 ans, qui a six enfants, qui doit travailler au noir (sans jeu de mot) comme femme de ménage, mais qui subit les visites hebdomadaires d'une assistante sociale où elle doit cacher le moindre objet de valeur ou la moindre relation qu'elle peut avoir si elle ne veut pas se faire sucrer ses aides. Interprétée avec talent par Diahann Carroll (qui sera nominée aux Oscars pour le rôle), c'est une femme qui semble se multiplier devant les bêtises de ses enfants, dont l'une d'entre elles pourrait tomber enceinte alors qu'elle ne doit avoir que quinze ans à peine, mais qui ne trouve le bonheur que dans ces brefs instants où elle est dans les bras de Roop. On le comprend dans une très belle scène où il l'invite pour la première fois chez lui, elle prend un bain, ce qui semble être un luxe pour elle, et elle pique un somme dans la baignoire. Roop semble être pour elle l'ancrage dont elle a tant besoin, mais le sens des responsabilités n'est pas si facile à acquérir chez un homme, qui est plus quand sa future femme a déjà six enfants turbulents !
D'ailleurs, le film garde pendant une bonne partie du temps cette légèreté, mais le dernier acte a quelque chose de plus sombre dont je ne me suis pas douté, avec les revendications du fils ainé, et la situation ubuesque des services sociaux qui ferait que si Claudine et Roop se marient, celle-ci perdrait toute aide, et le seul salaire de cet éboueur serait insuffisant pour nourrir huit personnes en tout.
A l'écran, il est impossible de savoir que c'est John Berry qui a réalisé ce film ; en vulgarisant un peu, Claudine fait penser à un mélange entre Spike Lee et Ken Loach. Et c'est d'autant plus fou qu'il reste méconnu, y compris l'excellente musique de Curtis Mayfield. Mais je ne peux que recommander fortement Claudine ; on rit et on est ému, que demander de plus ?