Cléo de Sphinx à diète
Pour entreprendre l’ascension du monument Cléopâtre, tous les sens doivent être en éveil. Bien sûr, on contemplera avec une attention particulière la grandiloquence d’un film qui fut un gouffre...
le 10 oct. 2014
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C'est assurément l'un des films les plus gigantesques du vieil Hollywood, qui marque l'apogée et le début du déclin d'un certain âge d'or hollywoodien, et dont le tournage fut l'un des plus tumultueux de l'histoire du cinéma, les soucis s'étant multipliés dès les premiers tours de manivelle par Rouben Mamoulian en septembre 1960 à Londres dont les conditions climatiques ont détruit des décors. C'est ensuite sa vedette, Liz Taylor malade, qui s'arrête en paralysant la production qui est repoussée en janvier, puis septembre 1961. Entretemps, Mamoulian et les acteurs Peter Finch et Stephen Boyd ont claqué la porte, jusqu'à l'arrivée de Joseph Mankiewicz qui remplace les acteurs partis par Rex Harrison et Richard Burton. Ce dernier fait bientôt chavirer Liz, créant une alchimie très visible à l'écran comme à la ville, mais les caprices de l'actrice aux yeux violets, les retards et changements d'équipe ont entrainé un dépassement de budget tel que le film faillit ruiner la Fox, qui se retrouve presque au bord du gouffre, faisant appel à Darryl Zanuck qui l'avait déja dirigée pour superviser le tournage.
Quelques chiffres donnent le tournis : 47 décors intérieurs, 32 d'extérieurs furent construits, du Forum romain érigé dans les studios de Cinecitta, à la ville d'Alexandrie reconstituée sur le backlot des studios. On compte aussi 26 000 costumes dont 58 rien que pour la reine Cléopâtre, parmi lesquels une fabuleuse robe de 6500 dollars incrustée d'or, que porte Cléopâtre pour son entrée triomphale à Rome.
Le budget final atteignit 44 millions de $, ce qui en 1963 était déraisonnable. Mécontente des premières recettes, la Fox procéda à de multiples coupes qui hélas contribuèrent à défigurer le film, Mankiewicz s'arrachait les cheveux en se demandant ce qu'il était venu faire sur ce tournage. C'est pourquoi une fois toutes les chutes du montage initial étant récupérées, il est conseillé de voir ce film dans sa version définitive de 4h, je sais c'est long mais ça les vaut, et sur le DVD 3 disques, un passionnant documentaire de plus de 2h raconte ce tournage épique, il est aussi intéressant que le film lui-même.
Car il faut considérer que Cléopâtre est certainement l'une des plus intelligentes de toutes les superproductions historiques de l'histoire du cinéma. On comprend ce qui a pu attirer et fasciner Mankiewicz sur ce projet. Il avait réalisé en 1953 une superbe adaptation de Jules César d'après Shakespeare, et ici, il retrouvait la grandeur et la folie d'une histoire antique. Mais attention, avec un tel réalisateur, il ne faut pas s'attendre à de grandioses batailles, il a refusé les conventions propres aux superproductions de l'époque, la célèbre bataille d'Actium par exemple n'est pas le formidable morceau de bravoure que l'on attend, mais une reconstitution avec de petites maquettes, certes bien réglée mais dépourvue d'un aspect spectaculaire.
En revanche, Mankiewicz se passionne pour la liaison de Marc Antoine et de Cléopâtre, sans oublier les affrontement cérébraux et politiques, mais toujours l'amour et la passion dominent et se retrouvent au centre de l'intrigue, c'est une liaison fougueuse et parfois violente qui succède à la liaison entre César et Cléopâtre qui elle, est plus tournée vers l'alliance politique et le choc de 2 êtres insolents et volontaires. Le film reste imprégné de gravité et de rigueur dramatique, avec sa troublante réflexion sur l'Histoire antique, la politique et le pouvoir. Sinon, c'est aussi un film fastueux qui aligne quand même quelques brillantes et grandioses séquences, telle celle de l'entrée fabuleuse de Cléopâtre dans Rome sur un char colossal au milieu d'une figuration innombrable, rien que cette scène soutenue par la musique pompeuse d'Alex North, vaut le détour, elle est carrément époustouflante, on ne fait plus des scènes de ce genre dans les péplums modernes qui se retrouvent bien fades à côté. On sent la volonté de la reine d'Egypte de "vamper" le monde romain en leur donnant une idée du faste de l'Egypte.
Les dernières scènes sont d'un caractère plus sombre, frôlant la grandeur tragique et shakespearienne, tout ceci fait que malgré son caractère de superproduction pharaonique, c'est paradoxalement une véritable oeuvre d'auteur, parfaitement à sa place dans la filmographie d'un réalisateur exigeant qui a voulu trop souvent oublier et renier ce film dont le tournage fut pour lui une épreuve douloureuse. Un dernier mot sur le casting entourant les 3 vedettes, où l'on reconnait Roddy McDowall, Martin Landau et Hume Cronyn, bref de solides atouts qui achèvent de faire de Cléopâtre un film spectaculaire qui gagne à être vu dans une vie de cinéphile.
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Créée
le 22 déc. 2017
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