Une belle grosse claque comme je les aime et autant dire que ça n'arrive pas souvent!!
Gaspard Noé est un réalisateur pour qui j'ai une très grande admiration et ce depuis que j'ai vu son premier film "Seul contre tous" puis "Irreversible" à sa sortie au cinéma il y a maintenant pas mal d'années.
Perturbée et à la fois charmée par son audace, autant dans les thématiques qu'il aborde que dans la manière très visuelle qu'il a de conter ses histoires, je considère que Noé est un artiste, un vrai et à l'heure où le cinéma ne se résume quasiment plus qu'à des superproductions, des franchises, des reboot et autres bouses aseptisées dénuées d'âmes, voir un de ses films agit comme une véritable bouffée d'air frais et redonne un peu de noblesse à cette discipline.
"Climax" est une expérience incroyable qui ne propose pas une narration conventionnelle, il n'y pas de dialogues ou de voix off explicatifs, tout se passe à l'image, dans le cadrage, l’éclairage, les choix de couleurs et de mise en scène.
On suit donc une soirée où une troupe de danseurs festoient à l'occasion d'une future tournée aux USA. Après une dernière répétition générale de la chorégraphie, les conversations et les commérages vont bon train tandis que la sangria coule à flots.
Problème, une substance a été ajoutée au breuvage à l'insu de tous et ses effets, puissants et pouvant s'avérer particulièrement dévastateurs pour des non initiés, ne vont pas tarder à se faire sentir.
Un postulat de départ simple qui nous plonge dans un hallucinant cauchemar où l'on ressent de manière viscérale la confusion, la folie et la terreur qui gagnent les protagonistes, non préparés à vivre une telle expérience.
La caméra, comme un personnage à part entière, se montre extrêmement précise lors de la première demi-heure du métrage, alors que les danseurs sont encore en possession de leurs moyens. La chorégraphie est excellemment filmée, tout comme le long plan séquence qui suit et nous mène d'un personnage à l'autre, nous permettant ainsi de comprendre que la belle unité qui règne lorsque la troupe est sur la piste n'est en réalité qu'une façade.
Plus tard, une autre séquence en plongée, nous montre les danseurs sous un autre angle, presque divin, les jupes et les cheveux des filles tournoient les rendant semblables à des fleurs, les corps dégagent une grâce aérienne, les artistes semblent carrément en lévitation.
Puis, alors que les effets du LSD commencent à monter, la caméra va, au même titre que les protagonistes, se mettre à errer, à vriller, à tournoyer, accentuée par un jeu de lumières et une colorimétrie saturée très caractéristiques, que l'on retrouve dans l'ensemble des œuvres du réalisateur et qui n'a pas son pareil pour nous mettre mal à l'aise.
Pour ma part, j'ai été littéralement hypnotisée par l'une des dernières séquences, celle où, à l'inverse du début du film où les danseurs semblaient en apesanteur, les corps sont cette fois avachis sur le sol baignant dans une lumière rouge saturée.
Alors que l'effet de la drogue atteint son paroxisme, son climax justement, la caméra effectue une rotation à 180° et s'allonge pour sinuer entre les protagonistes qui semblent littéralement collés au plafond, la plupart d'entre eux n'ayant alors n'ont plus aucun contrôle sur leurs corps ni leurs pensées.
Certains rampent en gémissant, d'autres vomissent, d'autres forniquent, d'autres encore, complètement en transe, se livrent à une danse terrifiante en tordant, contorsionnant et désarticulant leurs corps tels des créatures démoniaques tout droit sorties de l'Enfer. Le tout filmé à l'envers, comme un négatif de la première partie de la soirée lorsque les danseurs étaient encore sobres et sains, donnant à cette séquence une aura surnaturelle.
C'est d'une incroyable efficacité, fascinant et dérangeant à la fois...du génie, ni plus ni moins!
J'ai mis quelques jours à me remettre de ce film, je dois l'avouer, j'ai même un peu souffert lors du visionnage, mes mains étaient moites et mon estomac un peu tendu mais bon sang qu'est ce que c'était bien.
L'art est quelque chose qui interpelle, quelque chose qui perturbe, qui fait réfléchir, qui amène des émotions et des sensations pas forcément agréable mais qui en tout les cas ne laisse pas indifférent.
"Climax" est ainsi une œuvre d'art à part entière, qui assume ses références tout en ayant sa propre identité. Un film unique qui se démarque de tout ce que l'on peut voir actuellement, par sa virtuosité technique et sa capacité à malmener nos repères spatiaux-temporels pour nous faire vivre son histoire de la manière la plus intense qui soit.
C'est également un film très humain, aucun jugement n'est apporté ou insinué quant aux attitudes ou aux réactions des personnages, on les suit au plus près de leurs divagations en assistant, impuissants et réellement angoissés, à des incidents ou à des comportements qui n'auraient jamais eu lieu d'être en d'autres circonstances.
Le tout dans un brouhaha constant où la les cris, les pleurs et autres gémissements se fondent dans la musique tonitruante, soit un enchainement de titres electro-house endiablés parfaitement cohérents avec l'atmosphère sombre et survoltée qui règne dans cette immense salle isolée.
Une œuvre vivante et passionnante, intelligente et inspirée, colorée et bruyante, sensorielle viscérale qui marque la rétine et touche au coeur.
Un immense merci à Gaspard Noé, à son équipe technique et évidemment à ses danseurs/acteurs (mention spéciale pour Sofia Boutella, magnifique) pour ce spectacle diaboliquement grandiose.
Du grand, du très grand cinéma!