"Vivre est une impossibilité collective"
"Climax" c'est un peu le genre de films pour lequel on a envie de faire une critique de folie, pour montrer à quel point Gaspar Noé est subversif, qu'il fait des plans séquences incroyables, qu'il a l'air d'aimer les lumières saturées de rouge ou de vert. J'étais en train d'en écrire une comme ça et puis finalement non.
On sait que Gaspar Noé aime choquer, il aime provoquer, ça c'est sûr et certain, il a toujours fait ça et je pense qu'il le fera toujours. En seulement cinq films, il a réussi à se faire une place en tant que sale gosse du cinéma français, celui qui aime placer des dialogues à base de "tu lui mets dans le cul ou dans la chatte", pour choquer le public lambda qui va vite fait quitter la salle en cours de projection.
Je n'aime pas ce côté provocation gratuite, ce n'est pas ce qui m'intéresse et Noé ce n'est pas un réalisateur qui me plaît particulièrement. Mais là j'avais vraiment envie de voir ce film, déjà parce que le côté danse m'interpelle beaucoup et de ce côté là j'ai été servie. La chorégraphie du début est d'une beauté renversante, c'est un ballet de danse urbaine, tribale, viscérale comme on en voit rarement. Ce sont des danses avec lesquelles je n'étais pas du tout familière et qui me donnent vraiment envie d'en voir plus.
Mais le côté positif de la danse et de ces performers d'exception amène aussi le gros point négatif du film selon moi : la plupart des danseurs jouent super mal. La façon de parler, les intonations, le jeu sont vraiment médiocres pour certains. Il y a même des scènes où ça m'a sortie de l'ambiance, par exemple la scène d'Emmanuelle qui enferme le petit Tito dans le local technique, ça aurait dû être quelque chose de plus important émotionnellement, mais elle joue assez mal et c'est un peu gênant parce que c'est le genre de moments où "la magie du cinéma" n'opère pas. Et à de nombreuses reprises j'ai eu cette impression là, les dialogues entre Gazelle et son frère, ça m'a fait le même effet. J'ai eu l'impression de voir deux acteurs amateurs qui échangeaient mais pas deux personnages d'un film. Alors je pense que Noé a voulu du "réel", je sais comme tout le monde qu'il a tourné son film en quinze jours, que les scènes ont été tournées chronologiquement et que beaucoup de scènes sont improvisées, notamment les dialogues, mais là c'est lourd. C'est censé donner un aspect réaliste au métrage, en mettant en scène des personnes réelles mais ça ne marche pas. Et je crois que la palme revient au dialogue entre deux garçons qui parlent pendant une éternité de cul, de savoir avec qui ils ont envie de baiser et s'ils préfèrent "par le cul ou par la chatte". Ce n'est pas que les dialogues graveleux me choquent, mais le problème est que c'est de la provocation de lycéens et que ça me fait plutôt lever les yeux au ciel.
Et là, c'est le moment où l'on se demande pourquoi j'ai mis 8/10 alors que je suis en train de tailler le film. Je mets une bonne note parce que c'est un film durant lequel j'ai ressenti mille choses ; alors pas forcément des choses très positives, j'ai eu mal au coeur à de nombreuses reprises, j'ai eu envie de sortir prendre l'air tant l'ambiance anxiogène du film m'étouffait, j'ai eu l'impression de passer 1H35 dans l'anti-chambre de l'enfer, mais j'ai aussi eu des frissons devant ces danses exaltées, j'ai eu envie de gifler pas mal de personnages, j'ai eu envie de savoir qui avait pourri la sangria.
C'est un film qui malgré ses nombreux défauts, malgré les nombreux tics de réalisation de Gaspar Noé, avec ses plongées, contre-plongées, ses plans séquences sans fin, ses lumières saturées, ses cartons-slogans, sa façon de déconstruire la chronologie du film, m'a fait vivre quelque chose pendant ma séance de cinéma. Même si ce n'est pas le film de l'année 2018 pour moi, il a quand même su me mettre une bonne gifle et me faire réagir.
Il y a des scènes qui méritent le coup d'oeil et surtout qui méritent une projection au cinéma sur grand écran, notamment cette scène vers la fin du film, entièrement éclairée en rouge avec toujours cette musique assourdissante pour ronge les sens, filmée à l'envers avec les personnages qui dansent, qui rampent, qui semblent en train de mourir au sol. Cette scène là sur un grand écran, c'est vraiment impressionnant, on se retrouve en plein coeur de cette orgie malade, c'est asphyxiant. J'ai eu l'impression d'avoir un aperçu des démons de l'enfer, sans rire, pendant la séance je me disais que c'est ce à quoi l'enfer devait ressembler : un lieu clos, qui semble étouffant, puant, moite avec des personnages complètement malades, fous, imprévisibles, sans aucune notion du temps et de leurs actions qui interagissent avec violence et agressivité entre eux. Et la résolution du mystère de la sangria "améliorée" est tout aussi puante, c'était juste pour le plaisir, pour la laideur du geste.
"Climax" c'est du Noé, ni plus ni moins, ça va faire parler, ça va faire réagir, mais que l'on aime ou que l'on déteste un film le principal c'est qu'il nous fasse réagir et ressentir quelque chose.