La double imposture
Un illustre inconnu, Hossain Sabzian, entre chez des particuliers en se faisant passer pour le cinéaste Mohsen Makhmalbaf (un des réalisateurs iraniens les plus connus). Il est arrêté et traduit...
Par
le 6 juin 2013
34 j'aime
3
Le site est en ligne, vous pouvez désormais revenir à vos activités habituelles. On vous remercie pour votre patience et votre soutien ! (Il est encore possible que le site rencontre quelques problèmes de performance)
Que ce soit du documentaire ou de la fiction, le tout est un grand mensonge que nous racontons au spectateur. Notre art consiste à dire ce mensonge de sorte que le spectateur le croie. Qu'une partie soit documentaire ou une autre reconstituée se rapporte à notre méthode de travail et ne regarde pas les spectateurs. Le plus important, c'est que les spectateurs sachent que nous alignons une série de mensonges pour arriver à une vérité plus grande. Des mensonges pas réels mais vrais en quelque sorte.
Ainsi s'exprimait Kiarostami face à Michel Ciment. Une réflexion très éclairante pour ce film qui, au fond, comme Pilate au Christ, pose une seule question : qu'est-ce que la vérité ?
Pas plus que le Christ Kiarostami ne répond à cette question. Son film est une méditation sur le cinéma et sa capacité à dégager une certaine vérité, derrière les apparences. Et même à influer sur le réel : on sait en effet que le filmage du procès a contribué à adoucir la peine de Sabzian. On peut même penser que le pouvoir iranien a voulu montrer à l'Occident un visage de clémence. Le juge enturbanné apparaît en effet particulièrement compréhensif... Ainsi Kiarostami nous suggère-t-il de regarder ces images avec prudence.
Mise en abyme étourdissante : Kiarostami reconstitue la vraie histoire d'un homme ayant usé d'une fausse identité, en mêlant de vraies images volées (la rencontre de Sabzian en prison, la scène finale à la sortie de prison), de vraies images officielles (le procès) et de la fiction, mais jouée par les vraies protagonistes (seul le journaliste est un comédien). La seule originalité du projet mériterait déjà le détour.
Mais ce n'est pas tout, car Kiarostami réalise cela avec un goût parfait. Analysons le début, magistral.
Un homme monte dans un taxi, avec deux gendarmes, on pense donc que c'est un policier. Erreur, il est journaliste. Le chauffeur de taxi, lui, se révèle un ancien militaire. Quant aux deux gardes, Kiarostami nous en montre une face sensible, tels deux jeunes qui reçoivent les conseils paternels du chauffeur. Dès le départ, les apparences sont trompeuses. Kiarostami nous dit d'emblée : ce qu'a fait Sabzian avec cette famille bourgeoise, ce n'est rien d'autre que ce que je fais avec vous. Du cinéma, tout simplement. L'art du faux pour mieux montrer le vrai.
L'arrestation de Sabzian se fait hors champ, pendant que le chauffeur de taxi déplace sa voiture, trouve des fleurs dans des gravats et shoote dans une bombe aérosol dont on suit la lente traversée de la rue. Magique ! Et ce, d'autant plus lorsque le journaliste shoote à son tour dans la même bombe, l'envoyant valdinguer. Sabzian ? On ne le voit toujours pas, à peine son visage dans l'ombre. Un art du suspense et du hors champ qui m'ont fait penser à Hitchcock, pas moins (la fameuse scène des Oiseaux où Tipi Hedren fume une cigarette pendant que les volatiles s'accumulent sur un fil).
Un peu plus tard, alors que Kiarostami s'enquiert auprès de la police de la façon de retrouver Sabzian (on est en quelque sorte dans le making of de Close Up, inséré dans le film !), les soldats viennent se placer en fond, souriant, pour être sur les images du film. J'ai trouvé ça délicieux, et très drôle.
Changement de ton dès qu'apparaît, en gros plan (traduction de close up), Sabzian, en discussion avec Kiarostami, que l'on nomme et voit de dos. Il n'y aura alors plus guère d'humour, mais une émotion à fleur de peau, avec ce visage filmé de très près. Sabzian lui-même le dit : juridiquement il est un escroc, il ne le conteste pas. C'est un niveau de vérité. Mais il y a un autre niveau de vérité, qui ne s'adresse pas au juge : celle d'un homme épris de cinéma, qui a eu l'audace d'aller jusqu'au bout de ses rêves. Le spectateur est conquis par ce moins que rien qui a voulu avoir sa minute de gloire, comme aurait dit Andy Warhol, et a su en saisir l'occasion. C'est d'ailleurs la vision que Kiarostami a du cinéma : plus une question de savoir saisir une opportunité que de travail acharné pour construire une oeuvre (cf. l'un des bonus du DVD).
Nous sommes donc sous le charme de cet homme. Et tout de suite, Kiarostami nous dit : méfiance ! Par l'intermédiaire du fils de la famille escroquée qui, dans un premier temps, refuse de pardonner car il soupçonne Sabzian de jouer un rôle. Où est la vérité ? Ne sommes-nous pas manipulés, par un Sabzian un peu trop séduisant, un juge un peu trop clément, par Kiarostami lui-même ? Si le film montre une magnifique histoire de rédemption, celui qui nous la conte nous met en garde contre lui-même en nous disant : attention, c'est du cinéma, l'art du mensonge...
Après le procès, souvent captivant mais malgré tout un peu le ventre mou du film, la fin est aussi flamboyante que le début : tout d'abord avec la scène de l'arrestation à présent montrée de l'intérieur de la maison, façon Rashômon. J'ai de nouveau pensé à Hitchcock lorsque Sabzian va regarder à la fenêtre ce qui se trame - avec le principe de Hitch selon lequel le suspense réside dans le fait que le spectateur en sait plus que le héros à l'écran. Et il faut se souvenir que Sabzian rejoue là une scène qu'il a réellement vécue ! Du Hitchcock appliqué au documentaire donc.
Enfin, il y a la scène où le vrai Makhmalbaf va accueillir le faux à sa sortie de prison. Tous deux montent sur une moto, le son est coupé par moments pour bien rendre le caractère réel du moment. Tous deux se rendent chez les Ahankhah pour offrir des fleurs, scellant vraiment le pardon. C'est superbe.
D'autres sujets encore sont abordés dans ce film passionnant : l'importance de sauver les apparences (le père Ahankhah qui déclare qu'il n'a jamais été dupe), le poids de la censure (l'intervention de la mère de Sabzian qui conteste les propos critiques de son fils), les conditions d'exercice de la presse (à la fois la chasse au scoop et la misère matérielle, qui oblige le journaliste à frapper aux portes des maisons pour trouver un enregistreur !)...
Mais ces sujets sont nettement plus convenus que le coeur de ce Close Up :
"Qui est le vrai Sabzian ?"
Une question ouverte, qui hante le spectateur bien après la projection.
Créée
le 24 sept. 2020
Critique lue 269 fois
2 j'aime
D'autres avis sur Close-Up
Un illustre inconnu, Hossain Sabzian, entre chez des particuliers en se faisant passer pour le cinéaste Mohsen Makhmalbaf (un des réalisateurs iraniens les plus connus). Il est arrêté et traduit...
Par
le 6 juin 2013
34 j'aime
3
Sans sa mise en scène particulière entre fiction et documentaire, mensonges et vérités, rêves et réalité, le thème en lui-même n'a rien d'extraordinaire, si ce n'est sa construction à bousculer les...
Par
le 3 mars 2019
17 j'aime
5
La beauté de la dernière séquence, pourtant mutilée dans sa bande son à cause d'un micro ne fonctionnant qu'à moitié, est renversante. Un choc émotionnel d'une rare intensité, et difficile à...
Par
le 8 août 2018
17 j'aime
7
Du même critique
[Critique à lire après avoir vu le film]Il paraît qu’un titre abscons peut être un handicap pour le succès d’un film ? J’avais, pour ma part, suffisamment apprécié les derniers films de Cristian...
Par
le 6 oct. 2023
21 j'aime
5
Voilà un film déconcertant. L'argument : un père et sa fille vivent au milieu des bois. Takumi est une sorte d'homme à tout faire pour ce village d'une contrée reculée. Hana est à l'école primaire,...
Par
le 17 janv. 2024
17 j'aime
3
Les Belges ont les frères Dardenne, les veinards. Les Anglais ont Ken Loach, c'est un peu moins bien. Nous, nous avons Robert Guédiguian, c'est encore un peu moins bien. Les deux derniers ont bien...
Par
le 4 déc. 2019
17 j'aime
10