Il existe des réalisateurs qui ne cherchent pas à faire un bon film, mais ont l’ambition d’en faire un grand. Ce type de films qui passent un message directement dans les tripes et la conscience par le biais de tous les moyens techniques, visuels et sonores de leur époque. Ces réalisateurs-là veulent à la fois toucher, émouvoir, amuser leur public tout en le faisant réfléchir, et en marquant les esprits à jamais. Je ne sais pas si c’est ce que les Wachowski et Tom Tykwer voulaient faire, en tout cas ils y sont presque parvenus.
Presque.
Parce que si leur film est très bon, il n’en manque pas moins un élément essentiel pour en faire une grande œuvre : l’émotion. En effet, Cloud Atlas est excellent en beaucoup de points mais il lui manque la charge émotionnelle qu’il aurait pourtant méritée.
Loin de moi l’envie de descendre le film d’emblée mais je préfère mettre ça sur la table avant de poursuivre sur le catalogue de ses qualités. Car le film en possède de nombreuses, à commencer par son montage, brillant du début à la fin. Il est la clé du film, sa mise en scène ultime. Le film racontant les histoires enchevêtrées de dizaines de personnages à six époques différentes, il y avait de quoi s’arracher les cheveux pour tout monter pour que cela soit buvable. Non seulement le résultat sur le plan narratif est sans faute, le tout restant complexe sans être compliqué pour un sou, mais il confère à certaines scènes une puissance supplémentaire. Ainsi, certaines époques se calquent les unes aux autres, d’autres se répondent comme un écho et d’autres encore viennent s’emboîter comme dans un gigantesque puzzle de plusieurs centaines d’années. Et c’est bien ici que vient se nicher l’ambition des réalisateurs, dans cette délicate entreprise de raconter un bout de l’histoire d’une humanité passée, présente et future via le concept simplissime de l’effet papillon. Ainsi l’on comprend comment l’évasion grandguignolesque d’une maison de retraite par vieil éditeur écossais en 2012 permettra, plus de cent ans plus tard, à faire naître les convictions d’une déesse en devenir. Le film est alors une merveille narrative, alliant à la perfection tous les ingrédients d’une bonne histoire : humour, amour, courage, peur, conviction, sacrifice…
L’autre bon ingrédient du film est son casting, et surtout l’emploi de ce dernier. En effet, on peut dénombrer à la louche une dizaine d’acteurs que l’on pourrait qualifier de principaux mais jouant plusieurs personnages dans le film. Et ce à grand renfort de maquillages fort sympathiques. Il est alors plus que délectable de voir évoluer Hugo Weaving en femme (une idée de Lana ?) ou encore un Hugh Grant asiatique méconnaissable. Loin d’embrouiller, ce concept aide énormément à la compréhension car les acteurs représentent alors des repères appréciables dans chacune des époques.
Mais comme je le dis en début de critique, il manque clairement une étincelle au film pour atteindre les sommets, un truc qui remue. Quand on regarde un film traitant de l’histoire de l’humanité et les répercutions des actes de chacun dans l’histoire éternelle de l’être humain, on a envie d’être un peu bousculé et ému. Cloud Atlas, malheureusement, reste un peu frileux et se contente de raconter une histoire sans lui insuffler le petit « je ne sais quoi » qui pourrait la transcender. De fait, le discours final de Sonmi, son podcast messianique, apparaît comme la clé de voûte de tout le film mais, loin d’être dénué d’intérêt, manque d’émotion. Il est vrai aussi que l’enchevêtrement des époques ne permet pas à l’une d’elle de sortir du lot, ce qui est à la fois une bonne idée tout en empêchant l’émancipation de tous les potentiels émotionnels.
Cloud Atlas n’en reste pas moins un très bon film porté par un rythme sans faille et sans longueur, malgré 2h45 de pellicule. Il offre des scènes excellentes (notamment celle du pont dans Neo Séoul s’intercalant avec la scène de la grand voile sur le navire en 1849) et des plans fort sympathiques. Il m’a fait parfois penser à l’Odyssée de Pi (autre livre que l’on pouvait penser inadaptable) et je n’ai depuis de cesse de me demander ce qu’Ang Lee aurait pu faire de cette cartographie des nuages…