Réalisé en 1930, « Morocco » est le premier film hollywoodien de Josef von Sternberg et Marlene Dietrich. Lui avait déjà eu des expériences mitigées en Californie ; des succès certains à l’époque du muet, mais aussi un manque de liberté qui l’avait ramené en Allemagne. Quant à Marlene, c’est son premier film américain. La Paramount, qui tente de l’établir en vedette "sulfureuse" suite à son succès berlinois (« L’Ange Bleu »), compte beaucoup sur le film.


Un beau jour, Miss Amy Jolly débarque d’un majestueux paquebot sur le sol marocain. La jeune dame fait connaissance avec un aristocrate oisif, la Bessière, qui tombe très vite sous son charme. Après l’avoir assuré n’avoir besoin d’aucune assistance, Miss Jolly gagne le cabaret où elle a été engagée comme chanteuse. Sa première représentation fait sensation : vêtue d’un pantalon d’homme et coiffée d’un haut de forme, l’artiste déambule négligemment dans la foule, embrasse les femmes et séduit les hommes. Dans toute cette presse, Amy Jolly croise le regard de Tom Brown, un charismatique légionnaire…


Sous certains aspects, le film préfigure des œuvres ultérieures de von Sternberg : « Shanghai Express » et « L’Impératrice Rouge ». En effet, outre une photographie splendide – la signature du maître – l’action est ici située dans un décor assez irréel, presque fantomatique, ensemble de ruelles brumeuses et d’intérieurs enfumés. Il retranscrit une ambiance à la fois morose et mélancolique, propice aux rencontres furtives où se côtoient les fantômes du passé et les promesses d’un avenir incertain.


Les personnages, sans exception, ont derrière eux un vécu. Désabusés et désenchantés, épaves des trahisons passées, ils portent un regard sombre et lucide sur le présent et les relations humaines. Le légionnaire collectionne les conquêtes féminines pour oublier celle qu’il a jadis trop aimée. La chanteuse se désintéresse bien des hommes, qu’elle fréquente sans se lier, par peur de l’abandon. Enfin, l’aristocrate sagace, loin d’être dupe sur son charme, est prêt à bourse délier, et se satisfait de n’être qu’un second choix.


Von Sternberg déploie un casting exceptionnel, avec trois interprètes principaux aux carrières exemplaires. Le légionnaire Tom Brown est incarné par un Gary Cooper au charme animal, un homme assuré au charme ravageur, bien loin de ses rôles affables – voire un peu gauches – chez Borzage (encore face à Marlene) ou Capra. La Bessière est quant à lui joué par Adolphe Menjou, dont l’air débonnaire et les manières policées font merveille. Enfin, la grande Marlene se révèle, dans son premier rôle en langue anglaise. Belle à se damner, elle conquiert son public de sa voix suave et rauque, charmant ses hommes d’un battement de cils.
J’emprunterai, pour conclure, les mots du critique de cinéma Jimmy Star suite à la preview du film : « Si cette femme ne révolutionne pas l'industrie cinématographique, alors je ne sais pas de quoi je parle. »


Richement mis en scène, très travaillé et abouti, « Morocco » est l’une des œuvres les plus intéressantes du duo von Sternberg/Dietrich. Ode de passions douces-amères dans la moiteur de la nuit marocaine, le film est grinçant, cynique et mélancolique. S’il souffre parfois de quelques longueurs ou de soucis de rythme, il demeure un passage nécessaire pour les admirateurs de la grande Marlene.

Aramis
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le 9 août 2015

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