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Andrew Dominik aime prendre son temps, genre détendu de la caméra : trois longs seulement en douze ans, Malick a du mouron à se faire. L’attente suscitée après son âpre Jesse James en 2007 est à la mesure de ce Cogan brillant et poisseux, offrant surtout une sorte de challenge esthétique sous-jacent à un contexte politique très prononcé : comment renouveler le film de gangsters ? Parce que bon, entre Guy Ritchie, Tarantino et même Scorsese ou les Coen, le genre, usé jusqu’à la crosse, semble désormais complètement balisé, délimité, jalonné, voire sclérosé, n’ayant plus d’autres repères à offrir que ces quatre-là. Sympa les gars.

Arriver après la bataille reviendrait donc soit à singer (bêtement), soit à copier (piteusement), soit à sanctifier (béatement), et sans qu’il puisse y avoir d’autres alternatives au problème, apparemment. Dominik a pourtant assimilé le tout pour en faire une œuvre bizarre, référencée évidemment (Tarantino dans ses meilleurs jours, Jackie Brown en particulier, avec bavardages incessants et rythme languide, vieux standards et éclairs de violence brute), mais en même temps à part, absurde (le braquage avec des gants de vaisselle), en décalage (l’ambiance très seventies), limite expérimentale par moments (voir l’incroyable générique d’ouverture ou le gros travail sur le son), et catapultée par un casting de trognes impeccables mixant force tranquille (Pitt, Jenkins), mythes sadisés (Gandolfini qui picole, Liotta qui s’en prend plein la gueule) et révélations canonisées (Scott McNairy découvert dans Monsters, Ben Mendelsohn dans Animal kingdom).

La scène au ralenti de mise à mort dans la voiture, visuellement bluffante (esbroufe gratuite ou plaisir de mise en scène ?) et pas mal décriée ici et là, cherche davantage à proposer une nouvelle façon de filmer le meurtre (De Palma n’a jamais cessé d’y réfléchir tout au long de sa filmographie) qu’à vouloir simplement épater (ou révolter, ou écœurer, ou énerver) la galerie. Meurtre fragmenté, décomposé, éternisé dans sa durée (Hitchcock a bien filmé un meurtre de 45 secondes sous une douche en plus de 70 plans) et même sublimé, entre extase et douleur. Et depuis quand vouloir risquer quelques manœuvres est devenu une tare, une irrévocable faute de goût ? Quand une grande majorité (dont je fais partie) ne trouve rien à redire à Winding Refn qui esthétise son Drive (pour prendre un exemple récent et plus qu’emblématique) comme un malade mental, pourquoi donc chercher des noises à Dominik quand il s’essaie à l’exercice de style qui a du style ?

Quant à cette dimension fortement politisée qui semble en gêner beaucoup (pas sûr qu’on aurait à ce point chipoter si Tarantino ou Scorsese s’étaient coltinés la chose, et on aurait probablement crié au génie face à cette acuité d’analyse balancée avec brio), elle tient plutôt d’une triste constatation d’un monde (monde entier, qu’on soit d’accord : l’Amérique n’a jamais eu l’apanage de la faillite économique, du mensonge capitaliste et de l’individualisme XXL) qui s’écroule comme après un cataclysme (paysages désolés, terrains vagues, chaos latent, misère suintante…), que d’un message à porter, à développer, à décortiquer éventuellement. Le fait que les différents discours de Bush, McCain et Obama lors des élections en 2008 soient constamment rabâchés (à la télé, à la radio) impose une sorte de litanie hypnotique, de ressac idéologique, de bruit de fond permanent, et leurs mots mêmes s’annihilent à la fin à force de répétition et de vaines formules. Dominik ne fustige pas, il laisse déblatérer ses lonesome losers dans le vide (malfrats comme politicards) et préfère laisser parler la poudre.

La mise en perspective de ce qui est entendu (sur la crise financière principalement) par rapport à ce qui est vu (des bad boys qui dépriment, pinaillent sur tout et s’entre-tuent pour un peu d’argent : les temps sont durs pour tout le monde) permet à Dominik, parfois avec (peut-être) un peu trop d’insistance, d’observer une société moisie qui ne croit plus en grand-chose (valeurs, justice, respect, morale…), si ce n’est le fric et une misanthropie galopante. Certes, rien de nouveau sous les ultraviolets du libéralisme planétaire (égalité, mon cul), mais un constat amer et superbement blasé. Cynisme du propos qu’on pourra réduire à une ultime punchline qui claque ("Now fuckin’ pay me!") résumant bien cet opportunisme carnassier et tristement ordinaire qui a de beaux jours devant lui, même rendu au fond du gouffre.
mymp
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le 12 déc. 2012

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