Le 31 décembre prochain, le froid hivernal vous saisira et Juillet De Sang vous giflera. Ce film sera votre étrange manière de finir l’année. Cette Saint-Sylvestre, nuit de toutes les remises à zéro, de tous les projets et de tous les espoirs. Douce ironie, que de terminer l’année sur un film si sombre et négatif, à l’opposé de tout espoir et qui ôte presque l’envie de se réveiller le lendemain. Juillet De Sang s’affiche d’emblée comme un des meilleurs films de début 2015 et peut-être plus encore, tant il assume sans complexe ses qualités de film dur et désespéré.

En quelques minutes, Juillet De Sang pose une chape de plomb, l’atmosphère est épaisse, collante et poisseuse comme cette mélasse noire, dans laquelle va s’empêtrer le héros. Une sensation d’étouffement prend à la gorge le spectateur, qui chute alors dans une noirceur et un pessimisme, plus sombres que l’âme de n’importe laquelle de ces ordures de personnages. On tombe dans les tréfonds de l’inhumanité dès la moitié du film, pour n’en sortir qu’au dénouement, dont on ne saurait dire s’il est heureux. Comme les personnages, on émerge de cette histoire comme de l’Enfer : soulagé mais avec à l’esprit, l’idée d’être un peu plus lucide sur ce dont l’Homme est capable.

Si Jim Mickle semble courir plusieurs lièvres, il a l’intelligence de les courir les uns après les autres et de tous les attraper. Son film se découpe en quatre parties distinctes, une première sur l’auto-défense et la légitimité de posséder une arme, une deuxième sur le programme de protection des témoins, la troisième doit tout à Don Johnson et la dernière, sanglante, traite du tournage de vidéos pornographique d’une violence inimaginable. L’habileté du scénario fait que les séquences s’enchainent avec une logique implacable, comme une lente digression qui nous éloigne d’un point, pour nous amener lentement, sans frémir, vers un point final en forme de carnage jouissif baigné de sang.

Jim Mickle n’a jamais fait dans la comédie, pas même douce amère. Il va explorer ce qu’il reste de la Bête en nous, cette sauvagerie qui caractérisait les premiers des hommes et survit encore aujourd’hui, même si nos civilisations ont entrepris de le cacher. Ce cinéaste grandit en talent, quatre films lui auront suffit à savoir conter une histoire et surtout, à parler autant avec la caméra qu’avec les dialogues des acteurs. Les plans, les éclairages et les choix de mise en scène accouchent d’images d’une beauté qui dérange, tant elle contraste parfois avec la laideur de l’âme de ceux qu’elle montre. Des ralentis qui chez d'autres seraient ridicules, prennent ici une force inouïe jusqu'à cette scène, insoutenable, durant laquelle Mickle fait monter l'horreur avec un vice incroyable, pour finir par suggérer la violence sans la montrer et nous laisser sur le carreau, la douleur nous vrillant les méninges. La musique de Jeff Grace est à retenir, elle ajoute du noir au noir et se marie parfaitement aux images, faisant du film une juste lune de miel entre son et photographie.

Ils sont trois dans Juillet De Sang, trois acteurs prodigieux pris dans les griffes de Jim Mickle, trois rôles opposés mais indispensables les uns aux autres. Michael C. Hall, absolument parfait dans le rôle de ce père de famille contraint de protéger les siens, mal à l’aise avec une arme et pris dans une histoire sans issue, qui le dépasse mais qu’il ne peut quitter. Son jeu et son regard laissent penser à un animal pris dans les phares d’une voiture : il se sait en danger mais est incapable de s’enfuir. Sam Shepard est un acteur difficile à critiquer: il est là, présent, professionnel et souffre peu la comparaison avec d’autres, tant il est haut-dessus du lot. L’arrivée de Don Johnson à mi-parcours est salutaire, le dynamitage qu’offre sa prestation accorde une respiration, un instant d’espoir dans un océan de désespoir. Don Johnson a la vieillesse rayonnante, il rajeunit en vieillissant et prend un plaisir contagieux à jouer la comédie.

Vous voilà prévenus, Juillet De Sang marquera au choix votre fin ou votre début d’année, à vous de voir puisque de toute façon vous irez, il le faut. Vous n’en sortirez pas grandit, ni même heureux, ni rien d’autre, mais avec cette simple conviction du cinéphile contenté, qui sait que 2015 s’annonce sous les meilleurs auspices. Les larmes sont possibles, probables même, qu’elles soient de tristesse, de résignation mais plus surement, de colère et de rage devant une telle débauche de bêtise humaine, devant la monstruosité faite Homme. Si vous ne croyiez pas en Dieu au début du film, vous n’y croirez pas plus à la fin mais, peut-être, vous serez-vous mis à croire au Diable.

Sélections :
Sundance 2014 (U.S. Dramatic Competition),
Cannes 2014 (Quinzaine Des Réalisateurs),
Sydney 2014
Deauville 2014 (en compétition)

Juste pour vous faire envie:
https://www.youtube.com/watch?v=YpodQqGJePc
Jambalaya
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le 15 oct. 2014

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