Ce film tient en équilibre entre deux impératifs : assurer le spectacle et un témoignage, en rapportant le particulier et donnant une représentation valide à l'universel. Souvent Colonia s'emballe au profit du premier impératif (avec succès mais aussi en commettant quelques fautes), sans jamais saper le second. Une dizaine de minutes niaiseuses s'imposent en ouverture, pour générer un contraste plus fort avec la violence de la Colonia de la dignidad, car l'horreur est plus nette s'il y a un paradis perdu. Daniel (Daniel Bruhl) est un activiste populiste de gauche, contribuant avec ses photos, avec un grand appartement dans un pays latin, où Lena (Emma Watson) l'hôtesse de l'air rejoint son amant entre deux vols. Autrement dit c'est un rebelle humanitaire qui ne vit pas dans la mouise, la spectatrice de 50 nuances de Grey pourra théoriquement se toucher sans s'abîmer.


Quand à Lena, ses charmes ne seront pas entamés par la dureté de l'expérience à venir (son arrivée à la colonie sous forme de bonne sœur à talons est décalée à tous les degrés). Son intrépidité permet de jeter le voile sur ce qui pourrait être trop sale ou laid, il restera donc toujours une once de romantisme dans cette aventure grâce à elle. Afin de garder Watson dans la partie et de rendre cinématographique des scènes poisseuses ou à la noirceur d'abord intérieure, cette héroïne oublie d'être discrète. À un moment cette attitude pousse trop loin. Qu'elle se jette dans cet enfer pour retrouver son Daniel, soit ; mais qu'elle provoque pour se retrouver à l'assemblée des hommes, dont elle a vu une séance et connaît donc le caractère dément et impitoyable, cela frise l'aberration. Car elle risque, au mieux, de se faire salement amocher, pour seulement apercevoir son amant.


Il faut d'ailleurs un autre élément improbable ou exceptionnel pour raccorder : ainsi elle échappe à la défonce grâce à la tentative d'évasion (de son ami justement) qui diverti l'attention. S'ajoute à cela des moments de flous accélérés et de petits angles morts, concernant par exemple la transition de Daniel : comment a-t-il pu être crédible en passant de prisonnier torturé à otage apparemment retardé ? Cependant ces écarts arrivent toujours à se justifier ou à se compenser (en apportant des moments de légèreté dans le cas de Daniel). Nous coller aux expériences des deux personnages a un autre avantage sur la mise en scène et l'impact : dessiner et partager un cauchemar. Ce film est efficace, assez puissant en terme de sensations voire d'émotions ; il a également une valeur politique importante en immisçant dans un système concentrationnaire et taillant le portrait d'un despotisme hypocrite.


La religion apparaît comme le faux-nez des tyrans, un gourou est avant tout un pervers et fait un excellent partenaire pour les détenteurs de l'autorité. C'est bien ce qui s'est produit dans la réalité avec ce Paul Schafer, couvert par le leader Pinochet, lui-même soutenu par les impérialistes américains pour renverser le socialiste Allende. Colonia salit donc sérieusement des avatars de ce qui pourrait s'appeler 'l'extrême-droite', sans inclure des combats ou des convictions habituellement amalgamés, sans faire de pédagogie non plus. Le traquenard autour de l'ambassade allemande du Chili complète le rapport ; la fin et la possibilité de fuite offerte renvoient alors au Dernier roi d’Écosse. En bonus les personnages sont très réussis, la vue sur eux synthétique et leurs ambiguïtés cohérentes – elles pourraient être explorées dans des scènes supplémentaires, voire au sein d'un film entier pour tenter de comprendre comment un individu peut souhaiter (ou se résoudre à) s'engager et donc se damner dans un tel système.


https://zogarok.wordpress.com/2017/03/07/colonia-2016/

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le 5 mars 2017

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Zogarok

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