Rêve party
La phrase prononcée par Gilles Deleuze retranscrite à l'écran "Ne soyez jamais pris dans le rêve de l’autre..." est l'antithèse du nouveau long-métrage (dé)borderline de l'inventif Bertrand Bonello...
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le 15 juin 2022
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La phrase prononcée par Gilles Deleuze retranscrite à l'écran "Ne soyez jamais pris dans le rêve de l’autre..." est l'antithèse du nouveau long-métrage (dé)borderline de l'inventif Bertrand Bonello. En prologue, un court-métrage comme une lettre lue à sa fille, Anna 18 ans, confinée comme tant d'autres jeunes filles en 2020, à l'aube de son passage à l'âge adulte. Ces phrases adressées mêlent inquiétudes et espoirs dans un temps figé où s'est endormie la confiance, une forme de Coma existentiel. En réponse : un geste de cinéma déjà daté, un geste clair comme un retour de printemps, un geste fou comme une rafale de vent.
Une jeune fille (Louise Labeque) a pour océan une chambre et pour radeau un simple lit. Elle pagaye sans même se mouvoir dans ses propres strates sédimentaires, voyage interne aux vagues tantôt plates tantôt houleuses. Capitaine d'un bateau sans nulle autre destination que ses obsessions, pour l'écologie et ses arbres qui tanguent, pour les tueurs en série et les poupées barbie, pour la liberté et le libre-arbitre, la jeune fille aperçoit l'horizon se brouiller, l'avenir l'angoisser, son réel se disloquer.
Enfermée dans sa chambre, la jeune fille entretient un rapport au monde extérieur par le judas du virtuel, celui de Patricia Coma (Julia Faure), influenceuse internet, brouillant la porosité entre rêve et réalité. Le dynamisme, si ce n'est l'éclatement formel de Coma (images d'archives, images de caméra de surveillance, images de vidéos internet, images de conversations Zoom, scènes tournées dans la maison des poupées, celles dans la Free Zone (le monde des limbes est l'univers le moins convaincant), ajout de scènes en stop-motion ainsi qu'en dessins animés, rendent tangible l'insaisissable, une zone grise. Anne ne discerne plus le rêve de la réalité ; nous aussi.
Les questionnements sur l'instauration du doute, du libre-arbitre, du déterminisme de nos actions, de la perception des images et des projections que nous en faisons donnent à ce film des airs de boîte à outils, un avenir à fabriquer en kit main libre. L'angoisse est perpétuelle, l'espoir aussi. Pourtant, tout se contamine, le rêve la réalité, le blanc le noir, jusqu'à la figurine barbie récitant des tweets acerbes de Donald Trump, jusqu'à cette main baladeuse au fin fond du Crudimix, jusqu'à cette intrusion dans un appartement, jusqu'à ne plus savoir ce que nous voyons.
Si l'Occident s'en remet de plus en plus à la raison comme la meilleure (voire la seule) façon d'appréhender le monde dans lequel nous vivons, l'efficacité est devenue reine, Bonello l'a décapitée. L'imagination du réalisateur est aussi authentique que n'importe quel fait descriptible. Coma est une tentative de raviver le merveilleux de l'expérience humaine dans ce qu'elle a de plus sombre et profond. Le chaos est en ordre, Bonello l'a saisi.
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le 15 juin 2022
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