Rêve party
La phrase prononcée par Gilles Deleuze retranscrite à l'écran "Ne soyez jamais pris dans le rêve de l’autre..." est l'antithèse du nouveau long-métrage (dé)borderline de l'inventif Bertrand Bonello...
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le 15 juin 2022
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Avec Coma, Bonello conclut sa trilogie de la jeunesse, qui après avoir suivi les élans de révolte (Nocturama) et l’ouverture sur un autre monde (Zombi Child) s’achève dans le confinement : cet opus, minimaliste, occupe l’unité de lieu évoquée par Pascal (« Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre ») et projette sa protagoniste dans les limbes : entre fantasmes et fiction, influences d’une youtubeuse et rêves déstabilisants, la protagoniste dénuée de nom va entreprendre un voyage mental aux conséquences de plus en plus néfastes.
Bertand Bonello, volontiers partisan du mystère et de l’implicite sur ses précédents films, annonce ici clairement ses intentions dans un prologue (et un épilogue) où il prend l’espace des sous-titres pour s’adresser directement à sa fille, du même âge que sa protagoniste, lui dédiant cette odyssée étrange, qui sonde le mal d’une époque terrible tout en souhaitant y trouver la lumière pour une renaissance (« Ne cède pas à l’air du temps. Ce sera ta liberté »).
La question des limbes nourrit directement l’écriture d’un palimpseste narratif où plusieurs niveaux de récit cohabitent : les prises de vues sur l’adolescente dans sa chambre, leur version animée, un soap qu’elle imagine avec des poupées Barbie et Ken (et qui, de temps à autre, s’animent en stop-motion), et les vidéos de Patricia Coma, une influenceuse incarnée par la fascinante Julia Faure. On retrouve ainsi le labyrinthe mental qu’avait radicalisé Lynch dans Inland Empire, et au fil duquel le spectateur s’enlise, ayant rapidement compris que la porosité d’un espace à l’autre sera favorisée par un montage qui se fonde avant tout sur l’inattendu.
Cet étrange maelstrom semble surtout jouer sur les tonalités et la volonté d’allier des forces contraires : le soap des poupées (convoquant les voix d’une Pléiade de stars, de Garrel à Casta en passant par Demoustier, Ulliel et Lacoste) dévie de la parodie au délire sur Trump, avant de s’égarer dans les marécages de l’inceste. Le groupe d’amies (directement issu du casting de Zombi Child) évoque sa passion des serials killers sur un ton badin, avant que l’horreur purement fictionnelle ne semble faire irruption dans la chambre de l’une d’elle. Les dérapages se glissent ainsi dans un dispositif qui semblait pourtant maîtrisé : les glissements vers l’horreur dans les prescriptions de la Youtubeuse, des rires enregistrés inopportuns, et des aphorismes (« Notre survie dépend de notre capacité à nous mentir à nous-même ») constellent une dérive où la vérité semble logée au cœur de la confusion.
Le cinéaste n’échappe pourtant pas à un certain didactisme, notamment dans cette posture initiale de père s’adressant à sa fille et une génération dans la tourmente, statut qu’il reprend dans un épilogue qui compile toutes les images les plus anxiogènes du chaos climatique. Sa foi dans la cohabitation de la lumière et de l’obscurité (« Notre époque est une sorte de nuit américaine, mais sans mise en scène ») et sa définition de la poésie, dans le silence de mots écrits sous des images d’apocalypse, vibre de sincérité. On ne peut néanmoins s’empêcher de s’interroger sur cette prise de parole par le père sur le ressenti d’une génération qui n’est plus la sienne, et sur laquelle il projette peut-être une obscurité qui lui appartient davantage.
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Créée
le 1 déc. 2022
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