Se souvenir des choses importantes : ne jamais fermer à clef, des fois qu'un souvenir revienne et se retrouve à la porte. Que ça n'arrive plus jamais.
Se souvenir que le 5, il pourrait se passer quelque chose. Tout s'effondre sans doute autour, beaucoup de choses disparaissent, s'évanouissent dans l'oubli. Mais dans l'oubli se souvenir que le 5 est un jour d'espoir, et toujours chaque 5 espérer.
Savoir oublier ce qui compte si peu est parfois plus difficile. Oublier sa rancœur envers la famille qui a trahi. Oublier qu'on nous demande pardon, et garder sa colère. Et dans ce film qui est pourtant quête de souvenirs, un de ses plus grands miracles est cette scène d'oubli. Enfin oublier le passé, et accueillir des jours nouveaux.
Quelles belles variations sur les choses d'hier, sur les photos vieillies, les lettres à l'encre effacée, les notes de musique d'antan. C'est rare de ressentir si fort le passé dans un film, sans recourir au moindre flashback. Rare de le sentir avoir autant forgé ses personnages. Les souvenirs d'un vieil amour qui fait commettre des folies... Hier et ses joies, aujourd'hui et ses passions, et entre les deux l'interminable attente et l'injuste exil.
Je lis ça et là que le film a déçu ceux qui attendaient un pamphlet politique et qui n'en ont rien vu. Je l'entends mais le vois autrement ; j'ai ressenti cette forme de pièce de théâtre magnifiquement filmée comme le point de vue sur les conséquences intimes de la grande (et si dégueulasse) Histoire. Et le drame ainsi dit toute la violence et le mépris de l'humanité face auxquels rester debout et intègre revient parfois à tout perdre. Certes, il ne s'étend pas sur les mécanismes ni ne dénonce de coupables. Au contraire, il montre des personnages déchus perdre tant de temps à s'accuser entre eux. Sauf celui qui n'en veut à personne et qui ne s'accuse que lui-même, qui a perdu la révolte en laissant passer le temps loin de sa vie. Celui qui court après le temps perdu, au sens le plus pur du terme, puisqu'il veut puiser à la source même des souvenirs et faire renaître ce qui n'est plus. Sa révolte est devenue celle-ci ; espérer, vivre d'infimes victoires, goûter aux plus simples moments, ne plus regretter et surtout, ne jamais au grand jamais se dire qu'il est trop tard.
Mais que nous dit Coming Home ? Il nous raconte par cette métaphore qu'il est des odyssées tragiques dont jamais on ne revient vraiment. Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage, mais surtout béni du destin celui qui retrouve sa demeure telle qu'il l'avait laissée.
Parfois, la séparation a trop brisé et plus rien ne sera comme avant. Parfois, malgré toute sa bonne volonté et la joie des retrouvailles, les gens qu'on retrouve après l'exil se rendent compte qu'ils attendaient quelqu'un d'autre, que vous êtes un autre que celui qui est parti et que vous n'y pourrez rien. Par petites notes, ils vous retrouveront parfois, le temps d'un soupir bienheureux.
Mais rien n'y fait. Le temps a trop passé, le temps si précieux d'une vie trop courte et unique. On ne vous reconnaît plus.
C'est pour ça que cette "petite" histoire m'a tant ému, malgré ses distances avec son contexte. Elle n'a besoin que de trois fois rien pour parler plus haut que ses contours, et faire d'un salon le théâtre de l'humain (l'espoir inavoué de toutes les histoires).
Et quand une actrice magnifique est ainsi magnifiée, quand elle devient espoir, mémoire, et temps, quand sa pudeur et sa simplicité sont les artisans de sa grandeur... On trouve là quelque chose d'inoubliable.