Sans jamais le dire
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Étant entendu que le titre est à comprendre de manière anti-phrastique - puisque l’original « Alles ist gut » clame que « Tout va bien », alors que cette déclaration répétée est justement reprochée à l’héroïne qui vient de subir une violence sexuelle dont les dégâts consécutifs ne vont cesser d’être exposés -, nous sommes bien d’accord avec la réalisatrice : rien ne va, dans ce qu’elle nous propose ici, dans la forme comme dans le fond.
Les deux acteurs principaux, Aenne Schwarz (Janne) - envisagée sous un tout autre jour que dans le très beau film de Maria Schrader, « Stefan Zweig, Adieu l’Europe » (2016) - et Andreas Döhler (Piet), ont aussi peu l’air d’être éditeurs qu’Oliver Hardy d’être champion de patinage artistique... Le couple qu’ils forment est tout sauf convaincant, si bien que l’on assiste dans l’indifférence la plus complète, voire avec soulagement, à sa dissolution. Pour se consoler, on voudrait pouvoir croire à un autre duo, celui formé par Robert (Tilo Nest), un autre professionnel de l’édition, plus crédible, et Sissi (Lisa Heigmeister) ; mal nous en prend : on découvre l’éditeur en homme battu et son couple happé par le même entonnoir de la dissolution que le couple phare.
Reste l’auteur de l’agression, Martin (Hans Löw, aussi convaincant en cadre à l’étroit dans la respectabilité de sa fonction qu’en urbain retournant à une vie passagèrement sauvage, tel qu’on l’a découvert dans l’intéressant « In my room », 2018, d’Ulrich Köhler). Alors que le propos du film serait de souligner son inexpiable culpabilité, en exposant l’étendue de ce qu’il a ruiné avec sa libido incontrôlée, il apparaît finalement, avec sa contrition et ses tentatives maladroites pour réparer l’irréparable, comme l’un des rares personnages un peu sympathiques et tentant d’échapper au maelström du destin...
Quant à sa victime, entre son sourire permanent, taillé sur son visage afin d’illustrer suffisamment clairement le déni du drame dans lequel elle s’est emmurée, et ses exhortations constantes, auprès d’autrui, à proférer le « non » qu’elle-même n’a pu articuler de façon assez ferme - sans parler de son enfermement final dans un « non » absurde et hors de propos, sans doute posé comme suprême affirmation de soi !... -, force est de confesser qu’elle porte peu à la compassion...
Devant ce premier long-métrage de la réalisatrice et scénariste Eva Trobisch, on ne peut s’empêcher de songer à un certain cinéma d’Outre-Rhin, heureusement très circonscrit et presque à contre-courant, tel le cinéma d’Angela Schanelec, qui se voudrait féministe, mais ne parvient à dérouler de film en film qu’une narration exangue, aussi dépressive que dépressiogène... Bref, un anti « 303 » (2018, Hans Weingartner), autant à fuir que ce dernier est à consommer sans modération.
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Créée
le 9 oct. 2018
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