Evidemment, on pense à la chanson de CharlElie Couture, comme un avion sans ailes, dont Bruno Podalydès a repris partiellement le titre pour son nouveau film. Film comme chanson parlent du changement, du renouveau, du désir d’aller au bout de quelque chose.
Sans grande conviction, Michel (Bruno Podalydès) travaille comme infographiste. Son grand rêve, c’est plutôt l’aviation, l’Aéropostale plus précisément ; son modèle Jean Mermoz ou Saint-Exupéry dont il a l’exemplaire de Vol de nuit toujours à portée des yeux. Pourtant, lorsqu’à son anniversaire, ses amis lui offrent un bon pour un baptême de l’air, Michel est dépité : le réel est une chose, le rêve en est une autre.
A défaut de piloter un avion, il va s’offrir un kayak, un avion sans ailes, dont il entamera la construction en cachette de sa femme Rachelle (Sandrine Kiberlain) sur le toit de sa maison. Lorsqu’elle découvre le pot aux roses, elle l’encourage avec amusement à vivre son rêve (« c’est mon rêve, je te demande d’y croire »lui dit-il joliment), baptise le kayak « Spirit of St Cloud » en référence à Lindbergh, puis l’accompagne au bord de la rivière pour le grand départ. Mais à peine parti, il reviendra partager avec elle sous de prétextes plus ou moins fallacieux un déjeuner sur l’herbe dans une jolie scène d’amour très bucolique.
Pour la première fois, Bruno Podalydès prend le pas sur son frère Denis et prend la tête de la distribution. Ce dernier joue le rôle de Rémi son patron, un rôle modeste mais qui semble être l’ancre qui arrime encore l’histoire de Michel à la réalité. Car Michel s’embarque dans l’improbable, un voyage en kayak sans aucunement connaître la navigation ; il s’embarque comme dans un rêve, comme dans une vie rêvée, délestée de toute contingence. Un voyage au bout duquel il veut surtout se retrouver lui-même.
L’agencement du film est composé tout d’abord d’une partie introductive visant à rendre attachant ce personnage heureux en amour, en amitié mais toujours à la recherche d’autre chose, d’une utopie, d’une existence qui l’arracherait littéralement de la pesanteur de son existence. Le mode est résolument burlesque, et le fait de passer de manière plus substantielle devant la caméra semble démultiplier son énergie ; la veine comique est beaucoup plus soutenue que dans son précédent film, Adieu Berthe (ou l’enterrement de Mémé), un film doux-amer sur l’incapacité du héros à choisir entre deux femmes, un film qui était pourtant déjà lui aussi du côté du burlesque. Le choix de Sandrine Kiberlain qui venait d’exceller dans deux très bonnes comédies (Tip top de Serge Bozon et 9 mois ferme d’Albert Dupontel) et d’Agnès Jaoui qui a largement fait ses preuves dans le genre est un signe que Bruno Podalydès s’est donné les moyens d’une comédie réussie.
Quand enfin il prend la « route », après une scène d’adieux avec sa femme qui est une des très belles du film, le film prend véritablement son envol et devient plus poétique. Très vite, Michel fait la rencontre de toute une tribu de doux dingues, une mère nourricière (Agnès Jaoui) qui le fournit généreusement en absinthe et autres canards confits, une affriolante mais romantique serveuse (Vimala Pons) ou encore un client « tati-esque » tout en langage du corps incarné par le toujours excellent Michel Vuillermoz. Les desseins de Michel se dessinent alors avec de plus en plus de précision : un voyage immobile fera l’affaire, du moment qu’il est pris en charge par la chaleur de ses nouveaux amis : n’avoir pas de tabou, ni le flirt, ni les beuveries à l’absinthe, ni les retours en enfance (dire bonne nuit à tous les objets qui l’entourent auraient pu être ridicules, et pourtant ça ne l’est pas)… vivre une vie légère, légère, comme un kayak sur lequel des ailes auraient poussé…
C’est une excellente comédie, une comédie poétique, avec de belles trouvailles comme cette séquence aux post-its à la volupté sybaritique. Ou encore le mémorable caméo de Pierre Arditi, délicieux d’auto-dérision. Mais au-delà de la drôlerie, il est émouvant de suivre cet homme maladroit que toutes les femmes du film ont plaisir à tirer d’un mauvais pas, et qui prend plaisir à se laisser secourir par elles. Un homme qui vit en parfaite harmonie aussi bien avec la femme qu’avec la nature.
Même si l’ensemble de la distribution est globalement satisfaisant, Sandrine Kiberlain aussi à l’aise dans ces rôles comiques que dans des parts plus dramatiques ; Agnès Jaoui déployant un plaisir de jouer qu’on ne lui a pas connu depuis un certain temps, ou encore Vimala Pons, l’étoile montante de ces derniers mois, le film laisse cependant penser que la complicité des frères Podalydès aurait amené une valeur ajoutée au film si le rôle de Michel avait été attribué à Denis, d’autant plus que le jeu de ce dernier, plus rassemblé, plus décalé aussi, aurait, comme dans Adieu Berthe, rendu le film encore plus burlesque tout en lui donnant davantage de mystère.