Dans Comme un avion, Michel (interprété par le réalisateur, Bruno Podalydès) voudrait rejoindre la mer avec son kayak, parce que c'est un palindrome et que c'est presque "comme un avion". Pourtant, le film nous prend à contre-pied car si le ciel est toujours à portée demain, comme l'eau qui s'écoule le long de la rivière, Michel ne bouge presque pas. Comme un avion devient alors le récit d'un éternel retour. Irrésistiblement attiré par une petite guinguette, Michel tente plusieurs fois de repartir, mais sans y parvenir vraiment, toujours retenu dans cet endroit magique où l'on croise des personnages hauts en couleurs. De la veuve (Agnès Jaoui, superbe et pleine d'envies), à la jeune amoureuse éplorée dont les larmes sont déclenchées par la pluie (Vimala Pons, douce et lumineuse), en passant par deux peintres effrénés. Son aventure à lui se passera ici, il s'y retrouvera, y réfléchira avec toute la force de l'immobilisme.
Dans sa première partie, le film s'attache à décrire un homme non pas en plein burn-out, mais plutôt quelqu'un qui a une petite vie bien tranquille, mais dont les rêves n'ont jamais été accomplis parce que la réalité semble les affadir. Ce n'est pas sa femme qui le fait fuir car, comme il lui dit si bien "voyager, ce n'est pas quitter". D'ailleurs, Bruno Podalydès et Sandrine Kiberlain rendent ce couple très tendre, notamment le temps d'un pique-nique improvisé et d'une étreinte, un au-revoir. Même quand ils se mentent un peu, c'est avec tendresse. Quand il part enfin, c'est au fil de l'eau qu'on voit d'abord Michel, avant qu'il n'échoue dans ce pays des merveilles d'où il ne repart presque plus. Sur sa route ensuite, plus aucune pseudo-guinguette n'aura la saveur de celle-ci.
Michel parle souvent tout seul, ce qui peut paraître étrange et un peu déstabilisant au premier abord, puisqu'il décrit tout ce qu'il fait quand il est dan sa tente. Pourtant, cela ajoute une tendresse au personnage qui, comme un enfant, dit bonne nuit à tous ses objets pour se rassurer avant une nuit en pleine nature. Michel souffre d'un énorme besoin de tendresse, sa femme, dès le début, explique qu'à leurs âges, ils n'ont plus besoin d'assouvir leurs désirs puisqu'ils les connaissent. Pourtant, ce n'est pas l'avis de Michel qui a encore des désirs aériens et fantasques. Il échange des baisers, des caresses. Derrière lui, comme le petit poucet, il sème presque inconsciemment des indices - la géolocalisation - pour qu'on le retrouve en chemin. Il revient vers sa vie, mieux armé pour la vivre. Un autre palindrome s'est accompli : rêver.
Dans ce film très tendre et très doux, immobile et pourtant si tourbillonesque pour le personnage principal, Bruno Podalydès convoque des clins d'oeil, avec ses acteurs, tous connus même pour de la figuration (de Noemie Lvovsky à Pierre Arditi), mais aussi des musiques qui disent simplement le bonheur d'une vie tranquille, libre. C'est presque un manifeste pour un choix de vie loin du 100 à l'heure qu'on nous vend à tous les coins de rue. Qu'il fasse appel à Moustaki ou à Manset-Bashung, Poalydès célèbre des instants intenses, frugales, où la beauté du geste compte avant tout, celle de la rencontre aussi. C'est ainsi que "Venus" est présente, partout, dans ces simples mots que le film rend vivants : "L'inévitable clairière amie
Vaste, accueillante
Les fruits à portée de main
Et les délices divers
Dissimulés dans les entrailles d'une canopée
Plus haut que les nues
". Ces fruits, des cerises dédiées à un être disparu, on peut presque les saisir de derrière l'écran, telles qu'elles sont filmées, comme les femmes du film, toujours prêtes à l'étreinte, belles et dignes quel que soit leur âge. C'est que la poésie a toute sa place ici, comme l'absurde et la mélancolie.
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