Bien qu’il n’en porte pas, Morgan Simon a reconnu apprécier la culture du tatouage. Comme il l’a confié lors d’une interview*, pour lui c’est un « mode d’expression », une manière de « raconter quelque chose sans avoir à l’exprimer par des mots ». Cette conception très personnelle du tatouage est intéressante en comparaison à son cinéma.


Pour Compte tes blessures il a créé un personnage chanteur de post hard rock, une musique dont il est lui-même adepte. La connaissance du réalisateur dans ces domaines se fait ressentir. Les scènes en bas de l’immeuble ou dans le supermarché sont un bon exemple du quotidien que peuvent avoir des jeunes désœuvrés. De même, le salon de tatouage est un lieu idéal pour retranscrire une atmosphère rock. Ces contextes crédibles apportent une dimension réaliste au décor du film. Mais heureusement Morgan Simon a su doser l’importance de ce contexte. Comme souvent avec un milieu original, la description pédagogique était à redouter. Ici les thèmes choisis sont suffisamment présents pour colorier l’œuvre d’une touche singulière, personnelle, sans qu’ils prennent le dessus sur le sujet principal. C’est l’histoire de Vincent qui reste centrale, dans un récit court d’environ une heure vingt, et une narration concise, qui a eux deux permettent d’être clairs et efficaces.


Plus particulièrement c’est le cheminement de Vincent pour devenir adulte qui est raconté. Un parcours initiatique donc, thème tout de suite moins original que le post hard rock mais qui n’est pas surprenant venant de la part d’un jeune réalisateur. Effectivement, nombreux sont les cinéastes à avoir choisi ce thème pour commencer leur cinéma. Au fur et à mesure des années il est même devenu un genre à part entière. On peut observer que ces films comportent souvent une dimension personnelle forte. C’est comme si la première chose dont voulaient parler ces réalisateurs était leur propre ressenti, leur vécu encore récent du passage à l’âge adulte. En guise d’exemple, nous pouvons citer le premier film de Xavier Dolan, J’ai tué ma mère, dont le titre en dit déjà long sur le désir d’émancipation du protagoniste. Le titre Compte tes blessures est lui aussi révélateur. Il ne fait pas seulement allusion à l’accumulation de souffrances. Il appelle aussi à les compter, à s’en servir comme matière pour se construire, pour devenir plus fort. Une manière possible de devenir adulte donc, et également de s’émanciper.


Dès lors, comment ne pas voir dans le personnage de Vincent, un jeune homme de vingt quatre ans, une ressemblance avec son jeune créateur Morgan Simon ? Ils sont tous deux jeunes et écoutent du post hard rock. Vincent dans le film a du mal à grandir. Le réalisateur, fraîchement diplômé de la FEMIS, a aussi eu un parcours atypique : étude de biologie, de communication, avant de s’intéresser au cinéma. Un moment de désorientation pour se trouver enfin ? Pour compter ses blessures ? Si Morgan Simon n’a pas éprouvé le besoin de se tatouer comme Vincent, il est visible qu’il a projeté une bonne part de sa personnalité en lui.


Plus généralement c’est dans le film entier que le jeune cinéaste s’est investit. Les coïncidences autobiographiques ne sont que des éléments parmi d’autres. Compte tes blessures détient une singularité, une originalité dans la façon dont les thèmes sont abordés. Malgré le monde violent qui contextualise l’histoire, avec un conflit paternel fort, des concerts de hard rock purgatoires, et des difficultés sociales liées à la banlieue parisienne, Morgan Simon parvient à mettre une teinte de légèreté et de poésie dans son récit. C’est dans cette atmosphère et avec la façon romantique dont sont traités les personnages que rejaillit le principal point fort du film : une grande sensibilité. Le réalisateur avait déjà manifesté cette qualité dans sa dernière œuvre, Essai de mourir jeune, qui a gagné le césar du court métrage l’an dernier. On pouvait y retrouver les thèmes de la culture alternative et de l’émancipation. Avec ce premier long métrage c’est donc un intérêt pour ces sujets qui se confirme. Ces orientations permettent de dessiner les contours d’une identité, d’un cinéaste qui, par sa sensibilité, a tout de prometteur.


Un espoir vers l’avenir qui est également valable pour Kevin Azaïs l’interprète de Vincent. Il apporte une douceur enfantine à son personnage, ce qui joue pour beaucoup dans la dimension romantique de l’oeuvre. A l’image de Morgan Simon, cet acteur incarne lui aussi une figure de nouveauté. On le voit sur de nombreux projets en ce moment, avec dernièrement Souvenir aux côtés d’Isabelle Huppert. Grâce à son interprétation profonde de Vincent et la sensibilité dont fait preuve Morgan Simon, Compte tes blessures contient en lui le condensé de deux jeunes talents. A travers ce film, c’est un vent de fraîcheur positif qui souffle sur le cinéma français, et il faut le dire, cela fait du bien.

Floxx
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le 27 oct. 2017

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