Expérience hybride, trip néo-shakespearien et cocon d’irréalité, Connan est tout cela en un seul film. C’est le dernier volet d’une trilogie, après le Paradis des Garçons Sauvages et le purgatoire d’After Blue, c’est ici l’enfer. L’œuvre est tantôt mystique, tantôt philosophique et provocatrice.
Il s’agit d’un voyage dans les affres de l’eros. Dans la version très référencée d’Irma Vep par Olivier Assayas, le personnage incarné par Maggie Cheung déclare que les bons films sont les enfants du désir. Conann navigue entre onirisme et érotisme dans un style effervescent et hétéroclite. L’auteur joue avec une esthétique mélant pop, queer, et expérimental. Bertrand Mandico poursuit une atmosphère ambiguë et pailletée, dans une manière psychédé-kitsch. Les stéréotypes de virilité sont subvertis, questionnés et réinventés par un éventail de personnages joués par des femmes et pourtant au-delà du genre, ou plutôt hors-genre.
Il serait abusif de parler de cinéma engagé ou féministe dans le cas de Bertrand Mandico tant ses films sont construits autour d’une conception du male gaze et de tous les clichés qui en découlent. Pourtant, l’érotisation outrancière conduit à un jeu autour des attitudes genrées et soulève un doute. Le réalisateur manipule habilement les poncifs grossiers pour en faire des caricatures à mi-voix ; il les théâtralise, y laissant toujours une part de trouble.
Conann est un film interrogateur. L’interrogation motive toute l’intrigue, du récit initiatique à la satire de film érotique. L’œuvre est dynamique et tressaillante comme les corps des protagonistes, chevaliers errants nous entraînant dans leur existence sauvage, bling et passionnée.
Cet aspect équivoque de la narration pousse l’entreprise aux confins de l’installation d’art contemporain. Ce monde organique, sensuel et rythmé relève presque de la création plastique. Les décors de carton-pâte au parfum de délire ont été intégralement montés dans les anciens locaux des Amandiers, théâtre de Patrice Chéreau à Nanterre. Il y a un lien visuel avec le travail d’artistes comme Laura Lamiel, Mimosa Echard, ou plus loin, Henry Darger. Le tournage, exclusivement en caméras 16 et 35 mm, avec moult effets spéciaux artisanaux, se rapproche de la performance.
Auteur : Elio Cuilleron
Site d'origine : Contrastes