Conclave
6.7
Conclave

Film de Edward Berger (2024)

CONCLAVE (2024)

Conclave est un film américano-britannique réalisé par Edward Berger et sorti en 2024. Il s'agit d'une adaptation du roman du même nom de Robert Harris (2016). Le film est présenté au Festival international du film de Toronto 2024.

La figure du pape semble fasciner le cinéma de ces dernières années. Qu’il me suffise de rappeler quelques titres évocateurs comme Habemus papam (film franco-italien réalisé par Nanni Moretti, qui est sorti en 2011. Le film a fait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes 2011), Les deux papes (film britannico-italo-américano-argentin réalisé par Fernando Meirelles, sorti en 2019) ou encore la brillante mini-série The young pope avec Jude Law dans le rôle de Pie XIII (mini-série italo-franco-espagnole, composée de dix épisodes, créée par Paolo Sorrentino en 2016) suivie en 2020 de la mini-série The new pope (mini-série en co-production italienne, française et espagnole, composée de neuf épisodes, créée par Paolo Sorrentino).

Le nouveau film d’Edward Berger reprend donc à son compte cette fascination contemporaine pour la figure intemporelle et symbolique du pape sans oublier l’attrait que peut exercer sur les imaginations le petit Etat du Vatican avec ses nombreux « secrets » …

Le titre du film « Conclave » est l’occasion d’un rappel historique. Tout est parti d’une élection pontificale à Viterbe qui a duré deux ans et neuf mois (1268-1271) ! Celle du pape Grégoire X. Pour éviter que cette situation ne se reproduise le nouvel élu institue le mode d’élection du conclave par la bulle Ubi periculum en 1274 (institution confirmée en 1294 par Célestin V). La bulle est efficace : le premier conclave de l’histoire de l’Eglise se réunit dans la basilique saint Pierre aux liens de Rome en 1276 et parvient à élire rapidement le successeur de Grégoire X, Innocent V. Le mot « conclave » vient de deux mots latins cum (avec) et clave (clé), signifiant que les cardinaux sont enfermés pendant le temps de l’élection et coupés ainsi de toute influence extérieure.

Revenons maintenant au film. Je commencerai par le décrire d’un point de vue extérieur en soulignant le cadre esthétique dans lequel les cardinaux évoluent. Le décorum solennel du Vatican est très bien rendu. On ressent la beauté de ces lieux chargés d’histoire, pas seulement dans le lieu du conclave, la chapelle Sixtine, mais aussi dans d’autres lieux du Vatican peuplés de statues de dieux antiques et ornés de magnifiques fresques. L’impact esthétique du film ne se limite pas à ces décors prestigieux que l’on contemple en visitant les Musées du Vatican. Il se trouve aussi dans les habits des cardinaux et dans les rituels. Enfin l’usage limité mais d’autant plus marquant de la langue latine dans les prières, la formule du vote des cardinaux, dans l’Extra omnes ajoute encore de la solennité et du mystère à ce fastueux décorum. Il y a aussi le lieu de résidence des cardinaux, en dehors des sessions de vote à la chapelle Sixtine, qui est admirablement bien rendu par la caméra (La maison sainte Marthe ?). Les chambres, les couloirs, l’ascenseur avec sa suave voix féminine, le réfectoire témoignent d’une « sobriété luxueuse », les parements de marbre à l’italienne côtoyant la simplicité du décor et de l’aménagement, ainsi que les vieux interrupteurs. Une fois l’écrin posé, regardons les acteurs qui font le conclave.

D’emblée deux groupes bien différents mais ayant une certaine interaction entre eux sautent aux yeux : d’une part, bien sûr, le groupe des cardinaux, mais aussi le groupe des religieuses qui se mettent à leur service pour préparer leur logement et les nourrir pendant le temps du conclave. Pas besoin de commentaire, le message est donné abruptement par les images : les hommes décident et gouvernent tandis que les femmes sont à leur service… La supérieure des religieuses, mère Agnès, fait remarquer dans le réfectoire que les religieuses ont, elles aussi, des yeux et des oreilles…

Du côté des cardinaux le personnage du cardinal Thomas Lawrence crève l’écran, c’est lui, qui, en tant que doyen du sacré collège est chargé de l’organisation du conclave. Il s’agit d’une belle figure, profondément honnête et droite, mais qui va être contrainte à s’affranchir de certaines règles pour mettre au jour des secrets bien gardés mettant en cause deux de ses confrères…

Le film se fait l’écho de bien des débats dans le catholicisme contemporain. Il y a tout d’abord le clivage classique entre conservateurs et progressistes. Dans ce débat la question de la morale sexuelle divise, particulièrement la question des personnes homosexuelles, et l’on retrouve la nostalgie des milieux traditionnalistes pour la messe en latin. De ce point de vue le film traduit bien les tensions actuelles au sein de l’Eglise. Le dénouement totalement imprévu (quoique… des indices sont tout de même donnés pour qui sait voir) de Conclave prolonge ces questionnements.

L’intérêt du scénario est de ne pas en rester à ces querelles liturgiques ou sur la théorie du genre. Dans les dialogues des uns avec les autres, dans les prises de parole officielles et privées du cardinal Lawrence on peut trouver une véritable réflexion théologique sur d’une part la foi et d’autre part le mystère de l’Eglise. Le cardinal Lawrence dans son homélie d’ouverture du conclave prêche pour une Eglise telle que la conçoit le pape François. Il démontre que foi et certitudes sont deux choses bien différentes et que la foi va de pair, paradoxalement, avec le doute. Car s’il s’y avait une équivalence entre foi et certitude, le croyant n’aurait plus besoin de foi et le mystère même de Dieu disparaitrait. Dans le réfectoire, pendant le repas, on entend aussi de belles réflexions sur la catholicité : seule la foi peut réunir ensemble des personnes aussi différentes provenant de tous les continents. Même si le cardinal italien conservateur Tedesco fait remarquer avec acidité que comme par hasard les cardinaux ne se mélangent pas à table et restent entre eux en fonction des groupes linguistiques, occasion pour lui de regretter le bon vieux temps où tous parlaient latin. L’institution du Conclave avait pour but de protéger les cardinaux des influences extérieures mais voilà que cela ne fonctionne pas… Une vague d’attentats terroristes dans Rome vient perturber la tranquillité des cardinaux, et cela dans une scène inoubliable qui provoque la surprise et l’effroi. Cela donne lieu à un duel programmatique sur ce qu’est l’Eglise et sa relation au monde et aux autres religions, en particulier l’Islam, entre le fougueux cardinal Tedesco, qui regrette le temps des papes italiens, de la messe en latin et veut une Eglise combattante affirmant fièrement son identité et désignant l’Islam comme l’ennemi à combattre, et l’humble et discret cardinal archevêque de Kaboul Benitez, nommé in pectore, par le pape défunt, qui prend le contrepied de Tedesco affirmant que l’Eglise ne se construit pas sur la nostalgie du passé ni sur la violence répondant à la violence. Cette scène peut paraître caricaturale mais elle rappelle à tout catholique bien des débats qui agitent réellement notre Eglise en France et de par le monde et pas seulement au cinéma !

En fonction des découvertes de certains secrets embarrassants, des discussions de couloir et des attentats dans Rome, les différentes sessions de vote évoluent de telle sorte que pour reprendre la parole même de Jésus « les derniers seront premiers et les premiers seront derniers ». Le film se termine par l’élection inattendue du nouveau pape qui prend symboliquement le nom d’Innocent ! Clin d’œil à Innocent V élu en 1276 lors du premier conclave de l’histoire de l’Eglise ? Personnellement je n’ai pas perçu ce film comme une attaque contre l’Eglise mais plutôt comme une radiographie de sa situation actuelle. Personne aujourd’hui, pas même un catholique, oserait prétendre que seul le Saint Esprit est à l’origine du choix du pape lors du conclave. L’histoire est là pour nous rappeler l’impossibilité de cette thèse angélique. Un conclave, comme toute élection faite par des hommes, a forcément un aspect politique. Il est le lieu où se révèlent en même temps les tensions et l’unité dans l’Eglise. Le film a le mérite de le montrer. Un cardinal dit à un moment : nous sommes tous au service d’un idéal, mais nous ne l’incarnons que très rarement. Les cardinaux ne sont pas tous de saints hommes et certains ne sont pas épargnés par l’ambition et la fascination du pouvoir suprême dans l’Eglise. Cela n’enlève rien au mystère de la beauté de la catholicité de l’Eglise dans laquelle saints et pécheurs sont mélangés, humbles et carriéristes se côtoient. Ce film n’est donc pas un film à charge contre l’Eglise, preuve en est l’émouvante figure du cardinal doyen et celle de l’archevêque de Kaboul, qui sont clairement des figures positives. Il serait intéressant de creuser le rapport que Edward Berger établit entre la beauté du décorum et les méandres dans lesquelles se débattent les cardinaux. Beauté intemporelle de l’art et faiblesses de notre pauvre humanité.


PadreBob
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le 9 déc. 2024

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