Quand tout devient gris, et que l'infini semble si proche, c'est alors la beauté du chaos qui prend forme. Le temps des heures sombres qui réapparaissent dans cet immeuble seul, qui refuse de mourir, triste vestige après un terrible tremblement de terre sur Séoul.
Un film qui démarre à l'image d'un drame envoutant, l'urgence du présent aux côtés de cet ensemble de survivants dans ce complexe d'appartement. Illuminé par la peur, cherchant un refuge loin de ce ciel froid et sans abri. Dans cette lutte égoïste pour la survie où chacun se méfie de l'autre. Maintenant que toutes les institutions existantes s'effondrent, tel un tableau sans vie où rien ne paraît renaître. Seul reste ce bâtiment et les ressources limitées, qui deviendront un enjeu de conflit pour chacun.
Le réalisateur Uhm Tae-Hwa, dans ce très beau film, par un visuel, de bons acteurs, parvient à nous faire ressentir ce sentiment de désolation. Mais aussi l'intrusion d'un caractère anormal, qui fait naître chez une petite classe moyenne ce concept de pouvoir commun. Ainsi voir, de façon très rapide, comment une force s'organise vers un système totalitaire. Une communauté autonome qui crée à présent sa propre hiérarchie, sa sécurité, son contrôle des ressources réparties proportionnellement. Comme une source d'énergie politique qui les rend vigilants et incite à l'action, une capacité à discipliner et donner de la cohérence à l'individu. Et puis surtout un vote, à la majorité, celui de virer tous les étrangers, dits les cafards, de cet immeuble, vers un extérieur bien mieux ailleurs, là où la famine et le froid glacial font rage.
Survivre qu'importe la méthode et les dilemmes éthiques qui deviennent de plus en plus complexes, qu'ils préfèrent ignorer lorsque le système leur profite. Un ordre nouveau qui s'agrippe aux instructions et à la tyrannie, avec le soutien de ce diable de Young Tak (Lee Byung-Hun), un homme silencieux, visage impassible, qui bientôt fera régner la terreur.
Il ne reste plus désormais que ce gentil couple qui s'aime, témoin du passé, un peu perdu dans l'absence de lumière, de chaleur, l'angoisse dans leurs yeux qui rôde et les oublies. Dans ce monde désolé, Myung Hwa (Park Bo-Young), veut rester sensible aux autres, tandis que son mari, Min Sung (Park Seo-Joon), abandonne toute compassion, humanité, quand l'autre est une menace.
C'est l'état de siège, tout est cruel, pendant que l'étranger frappe à la porte, d'autres métamorphosent les ruines et les vestiges de ce bâtiment en rempart de haine. Édifiant ainsi une microsociété aux murs dressés contre toute intrusion extérieure. Le mécanisme est primitif mais efficace, relevant ainsi une allégorie poignante des tourments sociaux de notre époque, un discours politique subtil et dangereux qui fonctionne encore très bien de nos jours.
Bien sûr, la question est : veulent ils partager la bectance et les appartements, oui ou non ?
C'est non, voilà c'est réglé, le carnage peut commencer, de telle sorte que l'histoire évolue dans des endroits inattendus. Le danger augmente à mesure que les ressources s'épuisent.
Concrete Utopia évoque un monde brisé, le pire que la catastrophe est à offrir. Une tension qui ne diminue jamais. Un cadre apocalyptique qui explore les thèmes de l'inégalité, les différences de classe sociale, mêlant humour, tension, carnage, désespoir et folie.
Arrive aussi l'interrogation sur le mystérieux Young Tak, qui atteint les profondeurs de la corruption humaine.
On peut lire à travers ce conte philosophique, chaque scène chaotique de ce film, le regard hostile qui ne partage pas, l'indifférence dans ce spectacle maudit. La peur, œuvre du pouvoir qui tisse son empire, une petite bourgeoisie effrayée qui perd la raison, choisit le côté sombre du fascisme. Et qui nous rappelle à l'essentiel, que la vérité se tient parfois dans l'ombre du réel.
Ainsi, malgré l'horreur sous les décombres, le cœur brisé, peut-être un rayon d'espoir, d'autres vies, pour d'autres choix.