« We've been called ghost hunters. Paranormal researchers. Wackos. » ED WARREN

Edward Warren et Lorraine Warren, dits les époux Warren, sont un couple américain d'écrivains spécialisés dans les sciences occultes et présentés comme des chasseurs de fantômes, lui se prétendant démonologue et elle se présentant comme médium et clairvoyante. Ils sont impliqués dans un certain nombre d'affaires supposées de possessions, d'exorcismes et de poltergeists qu'ils auraient aidé à résoudre. Auteurs de nombreux ouvrages, ils ont accumulé dans la cave de leur résidence un grand nombre d'objets qui seraient responsables des affaires auxquelles ils se sont intéressés et qui est devenu un musée privé.

A écouter les époux Warren, leur musée est dangereux et il ne faut pas rigoler avec tout cela, mais pour une centaine de dollars, vous pouvez tout de même visiter ce musée personnel. Et c'est bien tout le problème, le mercantilisme prend le pas sur la menace des esprits et autres démons. Que Ed et Lorraine soient des charlatans ou pas, il apparaît assez tentant de faire un métrage sur ce couple alors que les films de fantômes et de possessions démoniaques arrivent en force sur les grands écrans des cinémas.

Dans les années 1990, le producteur Tony DeRosa-Grund rencontre Ed Warren qui lui fait écouter son interview originale avec Carolyn Perron, enregistrée avec un magnétophone dans les années 1970. Elle prétendait que sa famille vivait parmi les morts dans leur ferme à Harrisville dans le Rhode Island. En 1999, Tony DeRosa-Grund écrit le scénario de ce fait divers. Dix ans plus tard, Tony DeRosa-Grund rend visite au studio New Line Cinema avec qui il signe un contrat pour son scénario. Il travaille donc avec le producteur Peter Safran, ainsi que les scénaristes jumeaux Chad Hayes et Carey Hayes pour perfectionner le script.

Le souhait des scénaristes était de raconter l'une des expériences des époux Warren, mais surtout de le faire de deux points de vue différents : d'une part, celui des Warren, et de l'autre, celui de la famille Perron, victime de l'attaque démoniaque. C’est alors deux parcours qui se croisent, d’un côté les Warren, catholiques pratiquants et exorcistes réputés, et de l’autre, les Perron, qui ne sont pas du tout religieux.

Pour la réalisation, le studio New Line Cinema va chercher James Wan qui revient donc au film d’horreur après SAW, Dead Silence et son Insidious. Cette fois-ci, il oublie la distance ironique pour nous plonger dans une histoire de maison hantée classique. En fan du genre, il exécute une partition sans fausse note, un peu sage mais bien terrifiante.

The Conjuring sort en 2013 et va devenir très vite un classique du film d’horreur.

James Wan joue la carte du premier degré et nous force à croire d’emblée au déchaînement de forces maléfiques, grâce à une longue séquence d’ouverture, très efficace, présentant des cas paranormaux traités par les époux Warren. Le montage parallèle entre les activités des démonologues et les premiers pas des Perron dans leur maison vient verrouiller la position du spectateur, happé dans une aventure surnaturelle où il ne connaîtra ni repos ni échappatoire. Grâce au récit placé dans les années 1970, James Wan peut s’autoriser tous les lieux communs du genre sans donner l’impression de clichés usés. Ainsi, le film constitue un envoûtant voyage dans le genre par le respect de tous les principes narratifs, stylistiques et esthétiques du film de maison hantée. Les vieux trucs (claquements de porte, ombres fugitives, placards mystérieux, horloge capricieuse, etc…) surprennent par leur usage calibré et crispent peu à peu les spectateurs les plus avertis.

L’utilisation du hors-champ alimente la mécanique de la peur, tout comme la bande son où chaque bruit devient suspect. La musique de Joseph Bishara, qui a aussi travaillé sur Insidious, donne le tempo d’une tension indéfectible, alors que les décors et accessoires sont traités avec grand soin pour transpirer l’angoisse. Pas une minute de répit n’est permise dans ce film, où la tension monte avec une précision démoniaque dans la gestion du rythme, suivant trois étapes canoniques : infestation, oppression, et possession.

Le film de maison hantée parle avant tout de la famille et interroge la place de chacun dans cette entité. Ici, comme dans les classiques du genre, la famille est mise en crise par les présences démoniaques dans l’espace protecteur du foyer. Mais le film en propose une vision très radicale. Les personnages féminins sont exposés à la violence des esprits frappeurs, quand les deux pères sont réduits à l’impuissance face aux démons qui hantent les filles et leurs femmes. Prenons l’exemple de Ed Warren, interprété par Patrick Wilson (qui était aussi dans le Insidious de James Wan), qui est désarmé face aux pouvoirs de médium de son épouse Lorraine Warren interprétée par une Vera Farmiga lunaire. Les personnages masculins acceptent leur statut ingrat, ce qui en fait des êtres éminemment dramatiques. Sans aucun pouvoir, ils regardent l’horreur en face. En confrontant le père de famille Perron à une épouse déformée par la possession démoniaque, le film exploite à fond la dimension psychanalytique du genre, qui interroge l’inquiétante étrangeté du couple en tant qu’addition de deux altérités, de deux entités changeantes. Les Perron et les Warren viennent aussi incarner deux modèles familiaux opposés, mais sont pourtant construits comme les deux faces d’une même pièce. Cette exploration des liens familiaux, noyau discursif du genre, est portée par une mise en scène au cordeau, où l’espace de la maison devient un personnage maléfique en lui-même.

L’équipe de tournage a pu bénéficier des conseils de la véritable Lorraine Warren, qui s'est beaucoup investie dans la préparation du long-métrage. Elle fait d’ailleurs un cameo dans le film lors d’une audience du couple Warren. Mais c’est Vera Farmiga qui a le plus bénéficié de la présence de Lorraine Warren grâce à leur nombreux échanges. Lorraine a de surcroît donné de précieuses recommandations à Patrick Wilson qui n'a pu rencontrer Ed Warren, décédé en 2006.

Le film a aussi bénéficié de la présence de la famille Perron, les victimes de l’attaque démoniaque. Malgré les souvenirs douloureux, ravivés au moment de leur visite, les Perron ont fait l’effort de venir sur le tournage, sauf la mère, Carolyn, qui n'en a pas eu la force. Pourtant, cela ne l'a pas empêchée d'être victime d'un accident troublant. Ayant ressenti une présence surnaturelle, absente depuis plus de trente ans, au moment même où le reste de sa famille se trouvait sur le plateau, elle a fait une chute qui l'a conduite à l'hôpital. Étrangeté ou promotion efficace, on ne le saura jamais.

Ron Livingston incarne Roger Perron, et comme Ed Warren, il ne peut que regarder avec effroi le mal fait à ses filles, puis la transformation monstrueuse de son épouse Carolyn, incarnée par l’impressionnante Lili Taylor. La famille est complétée par Joey King, Shanley Caswell, Hayley McFarland, Mackenzie Foy et Kyla Deaver incarnant chacune justement une des petites filles.

Le directeur de la photo, John R. Leonetti, n'en est pas à sa première collaboration avec le cinéaste James Wan (ils ont notamment travaillé ensemble sur Dead Silence et Death Sentence). Pour obtenir l'image souhaitée, avec un grain qui permette directement d'évoquer les années 1970 au cours desquelles se déroulent les événements du film, celui-ci a choisi de tourner avec une caméra numérique, plus sensible à la lumière que l'argentique, optimale pour les détails et les gros plans dans la pénombre.

The Conjuring met l’entité familiale en pièces pour mieux la reconstituer dans un dénouement attendu, où l’image du père et de ses filles sur le perron apparaît superflue. Film d’horreur classique, The Conjuring s’avère être malgré tout un exercice de style diablement réussi. James Wan prouve sa capacité à investir un champ cinématographique très codifié avec précision et efficacité. Il lui reste désormais à trouver sa singularité pour ajouter réellement sa pierre à l’édifice du genre.

StevenBen
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le 11 sept. 2023

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Steven Benard

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