Grand succès dans son pays d'origine, Fetih 1453 est la plus grosse production de l'histoire de la Turquie. Présenté comme le Kingdom of Heaven turc, son ambition démesurée a porté ses fruits puisque le film a battu tous les records d'entrées en moins de 3 semaines. Bénéficiant également d'un accueil critique chaleureux, il n'en reste pas moins fort peu distribué hors de son pays natal. Chef-d'œuvre méconnu ?
Fetih ("vainqueur") 1453 raconte l'accès au trône de Mehmet II, sultan de l'Empire Ottoman, et son parcours jusqu'à la fin du siège de Constantinople, évènement qui marque, parmi d'autres, la fin du moyen-âge. Il s'autorise une introduction religieuse prenant place en 627 et qui relate une vision du Prophète - ce dernier ayant l'honneur de la caméra subjective, compromis utile depuis Le Message d'Akkad, tant qu'on ne croise pas de miroirs - mais également un point de vue omniscient qui nous offre un certain nombre de scènes dans Constantinople encore bizantine ainsi qu'au sein de La Papauté en plein débat avec l'Eglise orthodoxe. Excusez du peu.
Afin de parvenir à un résultat crédible, les plans sont composites dans leur immense majorité, et abusent du fond vert même lorsqu'il s'agit d'un plan rapproché en longue focale et en intérieur. Si certains sont propres, d'autres sautent aux yeux par le découpage hasardeux des formes humaines ainsi que par l'éclairage mal maîtrisé. Et lorsque ces défauts restent globalement invisibles, des détails viennent ruiner la crédibilité, tels qu'un feu rajouté dont les flammes ne semblent pas s'élever exactement dans le même axe que la caméra. Ces ratages visuels, s'ils pouvaient être fréquents au temps des balbutiements technologiques, sont impardonnables aujourd'hui. D'autant plus que les effets spéciaux restent souvent bien gérés en plan de très grand ensemble, concernant par exemple la modélisation de Constantinople comme la gestion de la multitude (Massive serait passé par là ?).
L'ensemble du métrage pâtit d'une écriture dont le résultat semble être un compromis malvenu. Comme on l'imagine, l'ambition démesurée du projet ne pouvait tout simplement pas aboutir sur un film de 2h30 sans un lot colossal de sacrifices. Le scénario fait donc ce qu'il peut afin de réunir quantité de personnages turcs, bizantins, pontificaux, hongrois, etc ; des tensions religieuses ; la vie de famille de Mehmet II ; les flashbacks, la décadence de Constantinople ; les alliances politiques ; l'armement ; les différentes phases du siège ; mais également des intrigues secondaires classiques et proprement inutiles, telles qu'une histoire d'amour entre trois personnages de second plan ou la masculinisation d'un personnage secondaire féminin (Mulan, te voilà). Tout cela s'articule pauvrement et modèle le film en une succession de courtes scènes allant directement à l'essentiel.
N'ayant aucune connaissance des grands noms en matière d'acteurs turcs, je ne peux juger des choix opérés en matière de casting. Cependant, si d'Italie à l'Empire Bizantin, tout le monde parle turc, chacun ne le fait pas toujours très justement et beaucoup de scènes en viennent à être gangrénées par un jeu qui sonne faux, comme si les lignes de dialogue ne suffisaient pas à entamer leur plausibilité. Le personnage principal souffre en outre d'un cruel manque de charisme, un comble pour un chef de guerre dont on fait ici le panégyrique. D'un point de vue superficiel, on déplorera à nouveau (mais c'est une habitude) les choix soumis aux canons pour ce qui est des beaux bruns musclés en sueur se battant en débardeur de cuir, ou de la sultane en plastique au visage de chanteuse de pop arabe.
Idéologiquement, il n'y a bien entendu aucune subtilité, ce qui est loin d'être une surprise. Mehmet II est celui que le Prophète annonçait, la gloire du peuple turc, le héros national. Les Constantinois sont engoncés dans la luxure, leur décadence et leur arrogance suffisent à justifier un casus belli déjà douteux. Homme d'honneur, le sultan est aussi un homme ferme mais bon, qui pénètre le premier dans Sainte Sophie conquise, avant de prendre une petite fille dans ses bras, devant les sourires de la foule des locaux et sous un rayon de lumière divine (en CGI). Tant de clichés se justifiaient bien pour un plan final en accord total avec la réalité historique. Aveuglé par le nationalisme exsudant de tous les coins, le film devient vite indigeste pour qui, par un quelconque miracle, n'aurait prêté attention à aucun des points évoqués précédemment.
Si son caractère a priori naïf, tant sur la technique que sur le discours, peut nous octroyer quelques onces d'indulgence, Fetih 1453 demeure un de ces ratages choyés par les convertis. Fierté nationale célébrant une fierté nationale, on peut aussi tout simplement prendre le long métrage pour ce qu'il est : un téléfilm turc avec quelques moyens, inspiré par le cinéma américain mais réalisé par des Turcs, pour des Turcs.