"Amour, dit-il, embrasse-moi, embrasse mes lèvres, embrasse mes cheveux, mes doigts, ma qu***, mes c***, mes yeux, mon cerveau.
Fais-moi oublier."
On dit qu'il est décevant pour un film de Bukowski, car largement infidèle à ce déglingué qu'était Charles, qui, ivrogne, écrivait à profusion dans une réalité en décadence, désabusée.
Comme on le dit justement : avant chaque montée sur scène, il est ivre mort, déblatère autant d'insultes que de poésies.
Oui, malgré le charme, et le talent de Ben Gazzara, la figure est trop "gentille" encore, trop vierge encore de toutes les noirceurs phantasmes qui habillaient la vie de Bukowski.
Cependant, si l'on ne s'aventure guère dans les méandres du terrible écrivain poète, et si l'on regarde ce film sans l'idée seulement de le comparer à la biographie, on tient tout du moins là un bon prologue de ce personnage.
Pour le coup, je ne crois pas que nous avons là un véritable biopic.
Mais bon dieu que ce film est beau.
Je repense encore à cette scène hypnotique, une chambre avec une fenêtre, d'un bleu chaud, au détour d'une nuit, à l'attente de l'aube charnelle qui viendra poindre à travers les voilages.
Je repense à la scène finale, les bruits de la mer que recèle la poésie de Bukowski.
Il m'a été inévitable de ne pas penser à cet autre Charles B. : "la douleur qui fascine, et le plaisir qui tue."
Ils sont tous les deux là, et les personnages résonnent ce même langage.
Au combien la sensibilité y est désarmante.
Succèdent grands plans, caméra-témoin - Marco Ferreri possèdent une maîtrise incroyable de l'espace et il gardera la même ingéniosité pour la musique, et des plans plus serrés, principalement sur l'expression d'un visage. Sans émettre de jugements, au contraire, il propose la même verve que les deux personnages : cru sans ornement pour celui de Cass, magnifique brune torturée et masochiste (Ornella Muti), essentiel et métaphorique pour celui de Charles.
Entre les deux, une entente, une sévère fidélité, un amour meurtri qui ressuscite, une poésie en acte.
Le film peut définitivement garder son titre.
À voir, voir et revoir, même si l'on n'est pas adepte du style de Bukowski
"Et le soleil brandit sa pitié
Et comme une torche portée trop haut
Et les jets zèbrent son horizon.
Les missiles font des bonds de grenouilles.
La paix n’est plus, par on ne sait quel fait du prince
La folie dérive, comme le nénuphar sur la mare,
En cercles d’inanité.
Les peintres peignent, piquant dans les rouges, les verts, les jaunes
Et les poètes riment leur solitude,
Les musiciens meurent de faim, comme toujours
Et les romanciers manquent le but,
Mais pas le pélican, la mouette.
Les pélicans piquent et plongent, remontent,
Happant, hagards, à demi-morts
Des poissons radioactifs dans leur bec.
Le ciel point, rouge et orange.
Les fleurs s’ouvrent comme elles se sont toujours ouvertes,
Mais recouvertes d’une fine crasse
De carburant pour missiles
Et de champignons vénéneux.
Et dans des millions de chambres,
Des amants gisent entremêlés,
Perdus, malades comme la paix.
Ne pouvons-nous nous réveiller ?
Devons-nous à jamais, chers amis,
Mourir dans notre sommeil ?"