Le coeur homérique [Non-critique]
Avec s'il vous plaît la trad. De PH. Jaccottet.
Je maudis la distance entre vivre et dire, sentir et témoigner. Qui donc peut retrouver en ma singularité, avec ces blancs signaux, la stupeur de l'instant ? La torpeur, victorieuse, poursuit son écoulement tranquille et sans état.
Les mots n'ont pas crié, n'ont pas chuchoté, à peine ont-ils frôlé les cils. Ils n'ont absorbé aucune couleur, ni aucune douleur.
Le réel et son double, c'est presque ça. Je m'égare aux truchements, mais le réel, indocile, fend toujours le corps avec la même sévérité - indifférente. Les frissons-insectes me parcourent. C'est aussi véritable qu'une charogne, les odeurs affluent, et l'horreur reflue dans une ténébreuse beauté sublime.
"Sublime". Rien ne devrait l'être. Le mot est trop souvent en deça, mais la phrase est au-dessus. Les contours sont mal délimités. Le quotidien regorge de faux-perçus, de creusements de la langue. Le baiser devenu irréel.
Désormais, vivre est un calembour mais pas parce la mort est un état permanent, je ne serai pas aussi pessimiste, mais parce qu'il n'y a plus de frontières. Tout est bousculé, la synesthésie mêle hyperbole et euphémisme. Parler et entendre ne suivent plus la simple double flèche. La splendide brèche baudelairienne est devenue la déchirure serpentine du 21ème : un venin de déceptions règne.
Ma raison pour laquelle l'Odyssée m'est si importante. Auerbach le dit très bien. Il n'y a aucun mensonge, tout y est dit. D'une même lumière, d'une cinglante simplicité et sincérité. L'égal trait de l'horizon borde le récit comme une rive accueillante. Ulysse aux multiples tours, aux multiples facies, rend hommage à la primitive existence de l'être humain.
Il est bon de se joindre à cet inébranlable édifice, le retour à la rocailleuse Ithaque.
Bref, je dis n'importe quoi et j'en suis furieuse !