C'est l'Homme aux mille tours, Muse, qu'il faut me dire, Celui qui
tant erra quand, de Troade, il eut pillé la ville sainte, Celui qui
visita les cités de tant d'hommes et connut leur esprit, Celui qui,
sur les mers, passa par tant d'angoisses, en luttant pour survivre et
ramener ses gens. Hélas ! même à ce prix, tout son désir ne put sauver
son équipage : ils ne durent la mort qu'à leur propre sottise, ces
fous qui, du Soleil, avaient mangé les bœufs ; c'est lui, le Fils d'En
Haut, qui raya de leur vie la journée du retour.
Viens, ô fille de Zeus, nous dire, à nous aussi, quel-qu'un de ces
exploits.
Mon vieux Livre de poche 1966 m'a proposé la traduction de Victor Bérard. Je suis loin d'être un grand spécialiste des traductions de Homère ; mais si celle-ci peut apparaître parfois archaïque, justement cet archaïsme participe à insuffler un lyrisme qu'on doit retrouver dans la langue originale de l'oeuvre (après évidemment, n'étant absolument pas mais alors pas du tout un spécialiste du grec ancien, je peux écrire une grosse bêtise !!!). Il y a peut-être de meilleures traductions mais celle-ci m'a très bien convenu...
Ulysse, l'homme aux mille ruses, et ses aventures légendaires, quoi dire d'autre... Du souffle et de la poésie, de la littérature épique au sens le plus noble et le plus fort du terme, où on se permet d'introduire le héros que tardivement (au chant V, puisqu'on parle en chants !!!), où on introduit un long flashback, où on bouscule la narratologie et pendant lequel Ulysse devient un narrateur autodiégétique, de l'audace et de la modernité, qui a dit que les classiques étaient poussiéreux ???
On ne présente pas le Cyclope, les Sirènes, les Prétendants qui vont finir en brochettes, Poséïdon, qui ne recule devant rien pour emmerder notre héros (ben quoi, il a juste crevé l’œil de ton fils, si tu l'avais mieux éduqué aussi... !!!), Circé, Nausicaa, Calypso, Télémaque, Pénélope et sa toile... non, on ne les présente plus, ce n'est pas la peine...
Des océans de larmes (qu'est-ce qu'ils chialent là-dedans !!!) et une consommation de viandes quotidienne équivalente à celle annuelle du Burundi plus tard, on est satisfait d'avoir lu cette oeuvre dégageant une telle puissance d'évocation et de feu, d'une intemporalité flamboyante.
Elles chantaient ainsi et leurs voix admirables me remplissaient le
cœur du désir d'écouter. Je fronçais les sourcils pour donner à mes
gens l'ordre de me défaire. Mais, tandis que, courbés sur la rame, ils
tiraient, Euryloque venait, aidé de Périmède, resserrer mes liens et
mettre un tour de plus. Nous passons et, bientôt, l'on n'entend plus
les cris ni les chants des Sirènes. Mes braves gens alors se hâtent
d'enlever la cire que j'avais pétrie dans leurs oreilles, puis de me
détacher.