Dès la première scène, montrant Ian Curtis à 16 ans rentrer chez lui pour écouter "Aladdin Sane", j'ai su que "Control" parlait de moi. De nous, qui avons aimé Bowie en 73, les Sex Pistols en 77, et... Joy Division juste un peu trop tard, en 80. Anton Corbijn était là, lui, dans la noirceur de l'Angleterre thatchérienne, pour assister à la naissance improbable, inexplicable, d'une musique immense, qui marquera le siècle.
Comme le génie est incompréhensible, Corbijn ne sacrifie à aucune des sirènes de la starification, du biopic ou, pire, de l'embaumement d'une "idole d'une génération". La musique et le génie de Curtis résolument au second plan (le grand film sur Joy Division n'est pas à faire, il tourne dans notre tête depuis les années 80), on assiste ici, attristés, à la vie (et la mort) banale d'un jeune homme ordinaire, simple et compliqué comme chacun d'entre nous, bouleversé et torturé - comme nous - par les conflits les plus élémentaires de l'existence : un mariage trop hâtif, un bébé incompréhensible, l'amour que l'on ne peut pas "contrôler"... Ajoutez la malédiction de l'épilepsie, le sentiment grandissant de ne pas pouvoir donner tout ce que l'on attend de vous, il ne reste que le suicide comme issue. On n'est pas très loin de chez Loach, on n'est pas à Hollywood, on est dans un beau film, qui ne nous apprendra donc rien que nous ne savions déjà. Et c'est pourtant violemment émouvant.
A noter quand même que la photographie, bouleversante, de Corbijn - un vrai grand photographe, même si son travail pour les pochettes de groupes au succès planétaire a eu, remise en forme en tendance à dévaloriser son et talent - phagocyte un peu la vision de "Control"... [Critique écrite en 2007 et 2008, remise en forme en 2016]