Il est de bon goût de citer un grand philosophe dans ses écrits, et je n’y manquerai pas en rappelant une déclaration de Philippe Manœuvre : "Joy Division a été une étoile filante dans la constellation rock", ou quelque chose dans le genre. Il a trouvé le terme exact, ce bon vieux Fifi : telle une étoile filante, l’existence de Joy Division fut brève et intense. Pour preuves, seulement quatre années de survie et deux albums, des concerts uniquement en Europe, une diffusion radio confidentielle, et pourtant, ils sont régulièrement présentés comme des références du rock, plus de trente ans après leur disparition. Leur biopic se devait donc d’être à la hauteur de leur renommée, ce qui est mission accomplie, Major Tom.
Depuis l’avènement du cinéma couleur, rares sont les films dont le parti-pris du noir & blanc est vraiment justifié. Parmi ceux-ci, La liste de Schindler et The Artist (films d’époque jusqu’au choix de la pellicule), La haine (pour s’éloigner visuellement de l’image des cités véhiculée dans les médias), Sin City (œuvre presque purement graphique) et… Control. Ici, l’intérêt est triple : tout d’abord parce qu’on imagine mal l’Angleterre de Miss Maggie filmée façon Les Experts : Miami, avec des couleurs archi-saturées à vous décoller la rétine ; puis pour correspondre à l’univers dépressif de Joy Division ; enfin parce Anton Corbijn, le metteur en scène, est coutumier du monochrome.
D’ailleurs, s’agissant d’Anton Corbijn, il fréquenta le groupe à l’occasion de plusieurs séances photo, passées depuis à la postérité. Et, avec les contributions de Deborah Curtis (la femme du chanteur), d’Annik Honoré (journaliste belge qui les a suivi et, accessoirement, maîtresse de Ian Curtis) et de Tony Wilson (fondateur de Factory Records, le label de Joy Division), l’authenticité de Control n’est plus à démontrer. Ajoutez à cela des acteurs qui interprètent eux-mêmes les morceaux joués à l’écran, qui plus est avec une maîtrise enviable, ainsi qu’un traitement aussi abrupt que leur musique, et vous obtenez un biopic au plus proche de la réalité du groupe.
Si Control sera surtout apprécié par les inconditionnels de Joy Division, sa mise en scène soignée, son énergie implacable et le destin presque mythologique de son chanteur intéresseront aussi les cinéphiles. Quant à celles et ceux qui souhaitent en connaître davantage sur les quatre lascars de Manchester, le documentaire de Grant Gee vaut franchement le détour.