Un western au féminin, féministe juste ce qu'il faut mais sans écraser les hommes comme des insectes, ce qui est trop souvent le cas aujourd'hui.
Car le féminisme, ce n'est pas faire que les femmes soient supérieures aux hommes mais qu'elles soient leurs égales.
Dans ce film, au scénario délicat de Capra, les femmes et la Femme en sortent les égales de leurs hommes et de l'Homme. On leur doit le respect à cause de leur force, leur endurance, leur ténacité, leur fortitude et de toutes ces qualités qui semblaient purement masculines à l'époque (aussi bien du film que de son action).
Néanmoins, c'est aussi un film d'aventures, souvent dures. Il y a les attaques d'indiens habituelles, les intempéries, la mort (ici d'un enfant notamment) mais les menaces sur des êtres de sexe féminin sont aussi autres. Le film en aborde au moins 2 : le viol et l'accouchement (ce n'est pas à proprement parlé une menace mais c'est un risque non négligeable).
Ce convoi de femmes de l'est, envisagée comme des poupées fragiles et surprotégées est mené tambour battant par Buck Wyatt, cowboy endurci et adepte des bordels, plutôt misogyne même, engagé par Roy Whitman, un homme simple mais plein de rêves qui a fondé une petite ville dans une vallée de Californie et qui maintenant a besoin que des femmes viennent rejoindre ses hommes afin que tous soient heureux et restent.
Malgré les doutes de Buck quant à son chargement, ils sélectionneront 150 femmes vertueuses (la moralité de ces dernières étant primordiale, il est drôle de voir le système de tri!) pour faire le long et périlleux voyage de retour. Toutes n'arriveront pas, mais après les épreuves qu'elles auront traversées, celles qui arriveront vaudront le coup qu'on se batte pour elles.
C'est en tout cas la conclusion que tire le film à travers Buck qui, arrivé au bout du chemin, aura un respect immense pour ses compagnes de voyage et fera bien comprendre à la bande de neuneux qui les attendent, qu'il faudra qu'ils soient dignes d'elles.
Ce ne sont pas des sacs de patates à se jeter sur l'épaule et gagnées d'avance: elles ont le droit de choisir et d'être maîtresses de leur destin.
Pour 1951, le propos peut surprendre. On est à l'époque de la femme au foyer, de la femme mariée qui ne travaille pas et qui n'est là que pour se réjouir d'avoir une cuisinière à gaz. Certes, ces femmes sont coquettes et querelleuses, un peu soupe au lait, les clichés abondent mais pour qui a été dans un groupe uniquement composé de femmes pour plus d'une semaine sait que les petites mesquineries, les bagarres sont réelles. Je suis de sexe féminin et je suis souvent effarée du comportement de mes congénères en groupe. Tout ceci prête souvent à sourire dans un film qui n'est pas une comédie.
C'est un western dur qui fait peu de concession à ses personnages
une veuve perd son fils de 10 ans en lui tirant dessus par accident
une jeune femme, certes un peu plus délurée que les autres, est violée dans les fourrés
Buck abat de sang froid son violeur en punition alors que celui tente de se justifier en disant qu'elle n'était pas vierge
une pauvre jeune fille qui a fauté et s'est retrouvée enceinte n'a d'autre choix que de fuir à l'ouest dans l'espoir de se refaire une virginité, quitte à accoucher en plein désert dans un chariot cassé (un des moments les plus beaux du film)
le jeune amoureux meurt
Du côté des messieurs, on a Buck : dur, violent même (ça ne lui pose aucun problème de gifler une femme ou de la menacer d'un fouet) mais c'est sans gratuité. D'autre part, c'est un homme intelligent, un peu rustre mais dont l'honneur est à la bonne place. Le film ne condamne ni ne glorifie son attitude dure envers les femmes de son convoi. Chacun est libre de penser ce qu'il veut.
Le film s'équilibre bien entre les hommes dignes de ce nom et les lâches (à tous points de vue). Même les neuneux de la vallée, mal dégrossis sont des hommes qu'il fait bon connaître. Leur présentation est succincte et au final nous sommes mis dans la même situation que ces dames : on en connaît pas beaucoup sur eux quand le film se termine et que les mariages ont lieu.
Pour finir, du côté des messieurs, il faut citer Ito, jeune homme honorable d'origine japonaise qui obéit au cliché de l'époque de la conquête de l'ouest par sa servilité apparente mais qui dit tout haut ce qu'il pense, ne l'envoie pas dire à Buck et est un rouage essentiel de la survit de tous et toutes.
Pour ma part, c'est mon personnage préféré : il est drôle et attachant et ne manque pas de profondeur.
Côté distribution, Robert Taylor crève l'écran en cow boy mal embouché et mal rasé. La charmante Denise Darcel lui donne la réplique avec fougue même si elle abuse un peu des yeux de merlan frit.
Hope Emerson campe une formidable Patience Hawley haute en couleur et en vocabulaire, à l'âme tendre. John McIntire est un Roy Whitman plein de bonhommie et Henry Nakamura est le charmant Ito.
Un très beau film qui sort des sentiers battus et rebattus, qui offre un héros loin d'être lisse et politiquement correct, ainsi qu'une héroïne au diapason, 2 personnages principaux qui ne mangent pas le reste du casting et qui laissent la part belle aux rôles dits seconds.
Un film d'ensemble plus que de têtes d'affiches qui émeut et envoie aux orties la légende totalement masculine de l'ouest avec grâce et panache.