Dans les étapes fondamentales de l’établissement d’une civilisation, la femme joue évidemment un rôle déterminant. Alors que le western la cantonne le plus souvent à un rôle de pure convention, Westward the Women va faire d’elle un ressort dramatique essentiel. Le film de convoi est un sous-genre en soi : dans Les Affameurs d’Anthony Mann, on insiste ainsi sur la nécessité, avant de pouvoir pleinement s’établir sur un terrain vierge, de rapatrier des denrées de lieux déjà établis. Il en va de même ici pour la femme : une colonie est en manque d’épouses, et le personnage principal (Robert Taylor, impeccable dans ce numéro d’équilibriste patriarche entre virilité et humanisme) va convoyer sur plusieurs milliers de kilomètres des impétrantes de la ville ayant choisi leur futur mari sur photographie. Le voyage sera long, douloureux, semé de toutes les embûches prévisibles (tempêtes, indiens, dissensions internes), et distillera tout ce qu’on est en droit d’attendre d’une grande aventure humaine.
Mais à ce sujet attractif s’ajoute bien évidemment l’ingrédient féminin, qui va lui donner une saveur singulière. L’écriture est presque shakespearienne, (on pense à Peines d’amour perdues, par exemple), et joue avec des règles proches de celles qu’inventait Marivaux : dans ce groupe, l’interdiction de relations entre les hommes et les femmes est totale, et va bien évidemment donner lieu à moult débordements. Wellman exploite judicieusement les ressorts de la comédie, à travers le personnage du sidekick japonais (un rôle qui semble assez audacieux pour un film de 1951) la frenchie et insolente Denise Darcel ou la tendre relation entre un enfant et son chien.
Mais le film gagne surtout en ampleur par sa gravité. La difficulté, les nombreux décès, et la perte de l’innocence par ces femmes permet de construire un récit initiatique collectif d’une grande cohérence, dans lequel émergent des portraits aussi divers (la jeune femme enceinte, la mère en deuil, la guerrière presque féministe…) La brutalité des hommes appelle ainsi une réponse de la part des femmes, pratiquement livrées à elles-mêmes et prenant la mesure des épreuves qui les attendent dans ce nouveau monde, loin des villes. C’est la raison pour laquelle la dureté excessive de Buck est si marquée : il est d’emblée celui qui connait le terrain et la nature humaine, et ne se fait aucune illusions à leur sujet. Au milieu des coups de fouets, des baisers vont certes surgir, mais l’essentiel n’est pas dans la romance, qui se révèle d’ailleurs une échappée du convoi durant lequel il est laissé à la merci des indiens… Les images les plus fortes seront donc celles du groupe, à l’image de cette scène incroyable d’accouchement en plein désert durant lequel on soulève à mains nues un chariot.
La fin du récit permet donc un retour à ce qui est toujours considéré comme la norme : la constitution d’un foyer dans lequel trônerait une épouse. Grâce à ce film, Wellman lui donne une définition nouvelle, et tout amateur de western doit impérativement voir ce petit bijou pour qu’elle puisse enfin retrouver la place qui lui est due.