Coraline
7.2
Coraline

Long-métrage d'animation de Henry Selick (2009)

Notre note est neutre et ne reflète rien. L'article comporte plusieurs spoilers.


De loin, Coraline ressemble à un guet-apens. On devine l’énième allégorie pour enfants, avec son esthétique pseudo-burtonienne et sa morale imbuvable. Inutile de nier : Coraline, c’est un peu ça. Un peu seulement, parce qu’en confiant la réalisation à Selick, les studios Laika ont sans doute fait le meilleur choix possible pour sauver du naufrage l’adaptation de Neil Gaiman.


"Ne m'abandonne pas !"

Coraline, une enfant délaissée par ses parents, trompe sa solitude en visitant sa nouvelle demeure. Un jour, elle découvre une mystérieuse porte derrière laquelle un monde étrange l’attend. Un monde où tous ses rêves deviennent réalité. On le voit venir : le film est une allégorie sur les risques du fantasme. Le monde dans lequel Coraline s’engouffrera lui offrira tout ce que le réel lui refuse : l’attention de ses parents, du divertissement, une paire de gants, des repas gargantuesques... Une séquence avec l’Autre Père appuie même la métaphore jusqu’au dernier degré en figurant le visage de Coraline en tant que principe organisateur du jardin. Définitivement, un monde à son image. On termine le tout avec une morale bien emballée : lorsque Coraline tente de s’enfuir du rêve en compagnie du chat, elle découvre qu’il s’agit en réalité d’un minuscule îlot. Autrement dit : nos fantasmes nous emprisonnent parce qu’ils n’excèdent jamais notre expérience. Ils nous limitent à ce que nous connaissons. Adieu l’inconnu, la surprise, les dérobades du réel. Mince.

Derrière cette apparente contrefaçon burtonienne, le film se trace heureusement un tout autre destin : mettre en images la solitude maternelle et, par effet de calque, la solitude du créateur. Le prologue annonce la couleur : la main de l’Autre Mère – l’antagoniste derrière la création du rêve – fabrique méticuleusement la poupée de Coraline. C’est à la fois un geste d’amour – elle donne la vie – et de possession – elle cherche à la piéger pour la retenir contre son gré*. Loin de se réduire au seul fantasme de Coraline, le rêve construit par l’Autre Mère illustre surtout la tragédie maternelle : satisfaire les désirs de son enfant pour ensuite le regarder partir. C’est ce que l’Autre Mère ne supportera pas, c’est ce qu’elle refusera avec rage. À ce titre, la séquence d’énigme finale qui la voit s’opposer à Coraline illustre toute l’ambivalence de leurs relations : à la fois jeu et ruse, satisfaction d’un désir et piège mortel**.

Mais l’esthétique du prologue dresse aussi un parallèle évident avec les créateurs du film. Les mains de l’Autre Mère, ce sont toutes les petites mains qui ont modelé les personnages en stop motion, qui les ont bougés centimètre après centimètre, pour leur donner vie l’espace d’un instant avant de les ranger dans leur sinistre tiroir. On imagine sans mal Selick se retrouver dans cette image de mère emmurée, seul au milieu de poupées immobiles, qui le fixent avec un regard plein de reproches. Le talent du film, c’est de n’en pas trop dire : sur les motivations de l’Autre Mère, sur le destin des enfants disparus. Laisser le spectateur démuni face à l’étonnante tristesse qui s’empare de lui quand l’Autre Mère, réagissant à l’ultime fuite de Coraline, la supplie d’une voix terrible de ne pas l’abandonner. Terrible constat sur le rôle du créateur : donner la vie pour la voir partir. La modeler à notre image et constater qu’elle ne nous ressemble pas. Comprendre trop tard qu’elle ne rompra jamais notre solitude.


Magie de la stop motion

Parmi toutes les qualités qu’on prête au stop motion, une des plus évidentes consiste à filmer naturel et surnaturel avec le même régime d’image. Rien ne les distingue d’autre que la mise scène, quand elle les distingue, permettant de les intégrer comme les différentes parties d’un même ensemble. Le surnaturel ne se donne pas pour étranger au naturel, pas plus qu’il ne s’y substitue ; il apparaît comme une de ses manifestations. Qu’il s’agisse d’un chien ou d’un insecte de deux mètres, on repère toujours les mêmes ossatures couvertes de silicone ; et c'est parce que les moyens pour les représenter ne diffèrent pas qu'ils produisent ce sentiment, directement tiré de l’enfance, que la magie constitue une part de ce monde. C’est un peu cela que restitue Coraline, mais plus généralement le stop motion quand il met en scène le surnaturel. Il rend sensible matériel et immatériel par les mêmes moyens. Au contraire des effets numériques, qui dessinent un régime d’altérité par la manifestation de leur hétérogénéité visuelle***, le stop motion fait corps dans le même régime visuel que le reste du film. En un mot : il réunit deux univers visuels habituellement séparés pour en faire la synthèse. C’est grâce à cette magie – on me pardonnera la métaphore – qu’on ouvre grand les yeux devant les prodiges visuels déployés par le film. Si on s’émerveille devant le spectacle des fleurs vivantes, des fantômes effrayés et d’un cirque de souris russes, ce n’est pas seulement parce qu’ils flattent nos préférences esthétiques. Mais parce qu’ils ressuscitent une plénitude enfantine, quand nous pensions – quand nous savions ! - que l’étrange était de la même étoffe que la vie quotidienne.

Il y a de la magie dans le réel. Il suffit de regarder Coraline pour s’en apercevoir.



* Il y a peut-être aussi l’idée de la modeler selon son désir, avec cette idée de boutons à la place des yeux.

** On notera que, dans un retournement assez malicieux, Coraline obtient enfin ce qu’elle souhaitait au début du film : jouer avec sa mère. À ses risques et périls.

*** Des effets numériques sont évidemment présent dans le film, comme dans tous ceux des studios Laika ; mais ils n’apparaissent pas en tant que tel. De plus, je caricature l’emploi des effets numériques pour aller vite. Une discussion sérieuse sur la question excéderait de très loin l’ambition de ce papier.

Thibaut-Goguet
5
Écrit par

Créée

le 24 févr. 2025

Critique lue 4 fois

3 j'aime

Thibaut Goguet

Écrit par

Critique lue 4 fois

3

D'autres avis sur Coraline

Coraline
Hypérion
8

Rendons à Selick ce qui est à Selick !

Pauvre Henry Selick ! Il a réalisé un des films les plus encensés pour les enfants : L'étrange noël de Monsieur Jack, et tout le monde n'a retenu que le scénariste : Tim Burton ! Avec Coraline, Henry...

le 9 déc. 2010

103 j'aime

9

Coraline
Rawi
8

Conte noir

Ce premier long métrage d'animation produit par Focus Picture est de toute apparence destiné à un public plutôt jeune. Sauf que l'auteur de l'oeuvre dont est tiré le scénaro n'est autre que Neil...

Par

le 6 avr. 2016

67 j'aime

Coraline
real_folk_blues
8

Henry : le conte.

On aurait pu croire Selick exsangue après s’être (enfin) débarrassé de l’emprise vampirique de l’autre décoiffé. En effet, comment ne pas qualifier un « artiste » de vampire lorsque celui ci se...

le 2 avr. 2013

66 j'aime

14

Du même critique

Coraline
Thibaut-Goguet
5

Solitude du créateur

Notre note est neutre et ne reflète rien. L'article comporte plusieurs spoilers.De loin, Coraline ressemble à un guet-apens. On devine l’énième allégorie pour enfants, avec son esthétique...

le 24 févr. 2025

3 j'aime

The Brutalist
Thibaut-Goguet
5

Pieds d'argile

Notre note est neutre et ne reflète rien. L'article comporte plusieurs spoilers.Premier film de Brady Corbet à sortir dans les salles françaises, The Brutalist ne cache pas ses ambitions. Passé le...

il y a 1 jour

2 j'aime

True Lies - Le Caméléon
Thibaut-Goguet
5

Spot publicitaire

Notre note est neutre et ne reflète rien. L'article comporte plusieurs spoilers.Recueil collectif rédigé en l’honneur d’un poète mort, les Tombeaux poétiques semblaient être tombés en désuétude...

il y a 3 jours

2 j'aime