The Brutalist
7.1
The Brutalist

Film de Brady Corbet (2024)

Notre note est neutre et ne reflète rien. L'article comporte plusieurs spoilers.


Premier film de Brady Corbet à sortir dans les salles françaises, The Brutalist ne cache pas ses ambitions. Passé le court prologue, un plan-séquence nous introduit à László Tóth (Adrian Brody), un juif hongrois rescapé des camps de concentration qui vient d’émigrer aux États-Unis, fendant la foule pour accéder au pont d’un navire. La statue de la Liberté apparaît alors en plan décroché, renversée verticalement puis sur le côté, métaphore du projet critique au fondement du film : déconstruire le rêve américain, et révéler dans le même mouvement son antisémitisme latent.

L’écheveau scénaristique ainsi conçu ne manque pas d’impressionner, moins pour son originalité que pour les qualités représentatives qu’il déploie tout le long du film, en particulier dans sa première partie. Le quotidien misérable de Tóth, d’abord dans son cercle familial puis dans son quotidien d’ouvrier, fonde un formidable contrepoint à son accession à la haute-bourgeoisie ; à la fois parce que ses conditions d’existence s’améliorent, mais aussi parce qu’il ne fait que passer d’une exploitation à une autre. Ce que rappellera avec force son viol, commis par Harisson de Lee Van Buren (Guy Pearce) – moins le signe d’un refoulé homosexuel qu’une pulsion sociale de domination.

De la même manière qu'Erzsébet (Felicity Jones) ne sera jamais légitime en tant que juive, Tóth ne sera jamais qu’un immigré prêt à être exploité. Rien de moins qu’une matière première. Un banal outil au service du capital. Constat annoncé dès le début du film : passée la joie de Tóth devant le spectacle de New York, une transition enchaîne sur le triste panoramique d’un parterre d’immigrés, avec autour de leur cou une pancarte numérotée. Moyen d’illustrer qu’ici comme au camp, les immigrés cèdent leur individualité à une autorité déshumanisante.

Si le film déploie une charge critique bien menée contre l’exploitation des masses prolétaires, il a le défaut de subordonner tous ses matériaux à son étude thématique. L’ambivalence des situations s’en retrouve exclue, au profit d’une démarche qui affiche sans cesse sa volonté didactique. En ce sens, la fin du film et son ton conférentiel finissent d’assurer la lisibilité du projet, quand ce n’est pas la transparence maladive des personnages qui s’en charge. Dans The Brutalist, tout est expliqué, souligné, surligné, déjà dit ; soit trop tôt, soit trop tard. Ce sont les impératifs thématiques même, très visiblement, qui guident les évolutions du personnage contre tout réalisme : comme Erzsébet qui marche enfin lorsqu’elle accuse Harrison du viol, métaphorisant une dignité dont le scénario la privait autrefois. Corbet obéit alors à une esthétique idéaliste, où l’esprit commande le corps au mépris du vraisemblable. Car il ne faut pas s’y tromper : ce n’est pas parce que Erzsébet parvient à marcher qu’elle retrouve sa dignité ; c’est parce qu’elle retrouve sa dignité qu’elle parvient à marcher. Ce qui explique pourquoi le fils d’Harrison la mettra à terre, dans un geste socialement situé de la ramener à sa place.

Le problème, c’est que cette lisibilité enferme le film dans un cadre interprétatif qui le réduit et l’étouffe. On imagine sans mal les magnifiques développements qu’aurait permis le personnage d’Harrison si Corbet avait assoupli son pédagogisme forcené. S’il n’avait pas cédé à la tentation intellectualiste. S’il avait problématisé ses séquences au lieu de les constituer en arguments.

Reste des exceptions : par exemple ce dîner entre Tóth, sa femme, sa nièce et son fiancé, où ces derniers annoncent leur départ pour Israël. L’incompréhension émerge, puis le conflit, enfin la réconciliation, dans une dynamique de rapports de forces qui fluctuent, à base de quiproquos et de rancœurs passées, notamment via leur rapport à la judaïté. La grande idée, c’est d’avoir tout filmé en plan fixe, montrant à la fois une organisation conflictuelle : chaque couple forme un rang opposé à l’autre ; et les rapports familiaux qui unissent les personnages : ils demeurent tous dans le même plan. Malheureusement, Corbet ne condense que trop rarement ces moments d’intensité conflictuelle, et encore plus rarement dans la même séquence. Il les dilue, à tort et à travers, peut-être trop pressé de construire son monument thématique, prêt à sacrifier tout ce qui en dépasse.

Corbet gagnera sans doute son oscar, mais il aura perdu l’occasion d’un grand film.

Thibaut-Goguet
5
Écrit par

Créée

il y a 1 jour

Critique lue 6 fois

2 j'aime

Thibaut Goguet

Écrit par

Critique lue 6 fois

2

D'autres avis sur The Brutalist

The Brutalist
Yoshii
5

Edifice en carton

Accompagné d'une bande annonce grandiloquente, encensé avant même sa sortie par une presse quasi unanime, "The brutalist" se présente d'emblée comme l'œuvre d’un cinéaste malin, notamment par son...

le 10 févr. 2025

89 j'aime

31

The Brutalist
Plume231
4

László au pays des méchants Américains !

Ce film, à peine sorti de la salle de montage, a reçu une avalanche d'éloges, de superlatifs, de comparaisons glorieuses aux plus grands chefs-d'œuvre incontestés du septième art, tout en ayant le...

le 13 févr. 2025

82 j'aime

9

The Brutalist
lhomme-grenouille
4

L'art abîmé de notre temps

Comme beaucoup, je pense, j’ai été attiré par la proposition singulière faite par ce The Brutalist. Un film de plus de 3h30 avec entracte, tourné en VistaVision, le tout en se référant directement...

le 13 févr. 2025

46 j'aime

7

Du même critique

Coraline
Thibaut-Goguet
5

Solitude du créateur

Notre note est neutre et ne reflète rien. L'article comporte plusieurs spoilers.De loin, Coraline ressemble à un guet-apens. On devine l’énième allégorie pour enfants, avec son esthétique...

le 24 févr. 2025

3 j'aime

The Brutalist
Thibaut-Goguet
5

Pieds d'argile

Notre note est neutre et ne reflète rien. L'article comporte plusieurs spoilers.Premier film de Brady Corbet à sortir dans les salles françaises, The Brutalist ne cache pas ses ambitions. Passé le...

il y a 1 jour

2 j'aime

True Lies - Le Caméléon
Thibaut-Goguet
5

Spot publicitaire

Notre note est neutre et ne reflète rien. L'article comporte plusieurs spoilers.Recueil collectif rédigé en l’honneur d’un poète mort, les Tombeaux poétiques semblaient être tombés en désuétude...

il y a 3 jours

2 j'aime