Pfff... Je m'ennuie ici. Mes amis sont loin maintenant, même si leur photo est sur ma table de nuit. Je viens de déménager et je déchante déjà. Il pleut dehors. L'occasion idéale pour jardiner. Le temps d'enfiler mon joli ciré jaune et de demander la permission à Maman. Elle me gronde car elle considère que je l'empêche de travailler. Papa ne m'écoute pas plus. Je m'ennuie.
Ah, au fait ! Moi, c'est Coraline. Pas Caroline, surtout, hein ! Et toi ? Tu veux m'accompagner dans la découverte de cette grande maison d'allure victorienne, vétuste et grise ? Allez, viens avec moi ! J'adore explorer. Je suis intrépide et très curieuse. Un petit peu chipie aussi. Et boudeuse. Mais du genre agréable, tu sais...
Tu as vu cette toute petite porte ? Celle qui se dessine derrière le papier peint, là ? Et si on l'ouvrait ?
On se croirait dans Alice au Pays des Merveilles, avec ce tunnel qui conduit vers le monde comme je voudrais qu'il soit. Rien de très différent, finalement. Mais ici, rien n'est gris, rien n'est ennuyeux. C'est chaleureux et coloré. C'est là que je voudrais vivre. Mes autres parents sont géniaux, tu ne trouves pas ? Bon, oui, ils ont des boutons à la place des yeux, ce qui met un peu mal à l'aise. Mais bon... Ils sont attentionnés et à mon écoute, pas comme mes vrais parents. Oui, ils m'aiment, je sais, mais ils me négligent parfois, tant leur travail semble les dévorer. Ici, c'est différent. C'est un monde idéal où tout est tourné vers moi. C'est cool ! Même le jardin, dans ce monde, est fleuri et chatoyant, comme je voudrais qu'il soit là bas. C'est mon autre papa qui en prend soin, juché sur une sorte de mante religieuse mécanique tout fascinante qu'angoissante.
Et les voisins, ils sont décalés et originaux. Monsieur Bobinsky dresse des souris chez lui pour un numéro de cirque incroyable. Et ses canons qui lancent des barbe à papas ! Les deux soeurs qui habitent au sous-sol, elles, montent sur scène et quittent leur déguisement de vieilles dames pour faire du théâtre. Et tous leurs chiens assistent à la représentation, tout comme moi et Padby.
Coraline, c'est de la stop motion superbe et fascinante, qui rend mon voyage d'autant plus merveilleux que le monde qu'elle anime est enchanteur... Jusqu'à ce que je refuse de faire comme mes autres parents et de me laisser coudre des boutons à la place des yeux pour ressembler à la poupée que Padby m'a offerte. En changer la couleur ne me fera pas changer d'avis : je n'en veux pas, de ces boutons. Je veux rentrer chez moi.
A partir de ce moment, mon film bascule vers le côté obscur du souhait que je formulais secrètement, vers le côté obscur de mon rêve, qui restait dans l'ombre jusqu'ici, et où cet aspect sombre et dérangeant ne s'exprimait que par détails.De conte merveilleux, Coraline verse dans le frisson et le sinistre en révélant le véritable visage de mes autres parents, ainsi que du voisinage.Avec les talents conjugués d'Henry Selick et de Neil Gaiman, l'horrifique n'est jamais loin. Dans une atmosphère subitement noire qui convoque la pleine lune qui disparaît lentement sous une ombre menaçante, les rats, les insectes et les faciès déformés des gens que j'aime. Il y a des fantômes aussi, victimes de l'amour possessif de mon autre mère. Et il casse les miroirs quand je réalise que mes vrais parents ont disparu.
La scène où j'essaie de m'endormir entre leurs effigies faites de coussins et d'oreillers est touchante, me rappelant que Coraline, c'est avant tout une histoire d'amour. Qui dit qu'il ne faut pas douter des sentiments de ceux qui nous aiment, mais que parfois ils ne peuvent pas vous donner toute l'attention qu'on réclame d'eux. Comme parfois, je suis aveuglée par ceux qui prétendent m'aimer, mais le font de manière égoïste. Comme mon autre mère qui, dans la dernière partie du film, ressemble à une araignée, alors que son monde merveilleux et étriqué s'évanouit et se dématérialise. Et qu'il ne reste que sa toile dans laquelle je suis tombée, comme d'autres malheureux avant moi.
Le monde dans lequel j'évolue est merveilleux à plus d'un titre. En tant que conte tout d'abord, où l'enchantement bascule dans un frisson qu'aiment ressentir tous les enfants quand on leur raconte une belle histoire avant de s'endormir. Ce monde est aussi merveilleux tant sa beauté formelle fascine, tant son animation étonne et la minutie qui gouverne chaque détail, le plus petit mouvement, stupéfie. Ainsi, mon monde semble foisonner et tutoyer la perfection. Mon monde, c'est le mien, ainsi que celui d'Henry Selick, artisan méticuleux, et de Neil Gaiman, mon papa de plume. Et il porte le même nom que moi : Coraline.
Behind_the_Mask, ... ♫ l'as de trèfle qui pique ton coeur, Coraline.