Du rationnel à l'instinct
Film de déchéance, Cosmopolis dépeint la chute d'un golden boy. De sa tour d'ivoire, Eric Packer rationalise, gère et dirige. Impeccable avatar du fantasme libéral, le monde est sien. Mais progressivement, les choses semblent lui échapper. Son trajet sans cesse interrompu le fait croiser différents personnages qui lui reflètent sa chute. Un jeune asiatique qui l'ignore et lui répond tout en restant rivé sur sa tablette le fait se sentir dépassé ; son perpétuel coup d'avance semble avoir disparu. Sa femme n'a cure de lui, elle aspire à plus de spiritualité et le renvoie à son matérialisme et ses désirs charnels. Son amante et marchande d'art lui refuse la possibilité d'acheter un ensemble d'œuvres. Son maître à penser se noie dans des discours abscons, et une employée lui signifie sa ruine. Notre financier perd tout suite à une opération spéculative malheureuse. Misant sur la chute du Yuan, ce dernier s'envole. Un évènement impossible, son système d'analyse, sa logique ne permettent de comprendre ce phénomène.
Peu importe, il semble résigné, accepte son destin. L'effondrement des remparts qui le coupaient du monde s'illustre matériellement. Perdant tour à tour ses lunettes, sa cravate, sa veste, sa limousine et ses anges-gardiens, sa confrontation à la réalité devient de plus en plus violente. Des simples secousses à l'attentat pâtissier, jusqu'à la confrontation à l'arme à feu.
Si Cosmopolis est une métaphore de la crise du capitalisme, ses manifestants du mouvement du rat expriment l'inoffensivité du peuple. On a réduit les mouvements armés à leur face sombre, on terrothéorise, on nous Gandhi, on nous Mandela, on nous Luther King. Les griffes du peuple sont bien limées. Eric Packer s'amuse de ces révoltes symboliques, elles ne le touchent pas, elles le distraient. Son donjon est saccagé ? Il le fera restaurer.
La violence vient de lui. Trahit par son rationalisme, il s'enfonce dans l'irrationnel, l'expérimental, l'instinctif. Perdu dans un monde délabré, il livre un duel final. Un face à face à main armée avec un double qui semble être son négatif et sa créature. Peut-être sa part de lui qui refuse l'échec et parachève un processus d'autodestruction.